La zone de santé de Lubero, dans le Nord-Kivu, est plongée dans une crise médicale sans précédent. Une pénurie généralisée de médicaments essentiels menace des milliers de vies, particulièrement celles des déplacés fuyant les violences armées. Comment une région déjà fragilisée par des années de conflits peut-elle faire face à cette double urgence humanitaire et sanitaire ?
Le Dr Mumbere Cyrille Musivirwa, médecin-chef de zone, décrypte l’engrenage infernal : « Depuis juin 2024, nous avons reçu plus de 50 000 déplacés. Ces populations, qui ont tout perdu, dépendent entièrement des soins gratuits ». Un système de santé déjà précaire se retrouve asphyxié par cet afflux massif, comparable à un patient sous respiration artificielle privé soudainement d’oxygène.
La fermeture de l’aéroport de Goma – principale artère logistique du Nord-Kivu – a transformé la pénurie en catastrophe. « Les stocks de médicaments critiques sont à 15% de leur capacité normale », précise le Dr Musivirwa. Conséquence : 12 aires de santé sur les 18 que compte Lubero sont en état d’alerte sanitaire.
Face à cette urgence, les humanitaires tentent un sauvetage à haut risque. MSF et le CICR ont réorienté leurs convois vers la route Kasindi, un itinéraire semé d’embûches sécuritaires. « Chaque cargaison met maintenant 72 heures au lieu de 35 minutes par avion », déplore un logisticien de Care International sous couvert d’anonymat.
La société civile locale tire la sonnette d’alarme. Mukekulu Justin, coordonnateur de la société civile, insiste : « Dans les centres de Manguredjipa et Mambowa, les patients partagent parfois les mêmes comprimés. C’est une bombe à retardement épidémiologique ». Son appel résonne avec celui des médecins : seuls 30% des besoins en antibiotiques et antipaludéens sont couverts.
Si aucun décès direct n’est encore à déplorer, les indicateurs indirects inquiètent. Les consultations prénatales ont chuté de 40%, et les ruptures de vaccins menacent de faire resurgir des maladies éradiquées. La fermeture de cinq centres de santé dans le secteur de Bapere, attaqués par les ADF, aggrave la pression sur les structures restantes.
En cette période critique, chaque initiative compte. Des pharmacies communautaires éphémères voient le jour, tandis que des tradipraticiens collaborent exceptionnellement avec le personnel médical. « Nous formons des volontaires à la reconnaissance des symptômes prioritaires », explique une infirmière de Medair.
La solution durable passe par un pont aérien sanitaire et la sécurisation des axes routiers. Le Dr Musivirwa lance un ultime appel : « Sans réapprovisionnement d’ici deux semaines, nous devrons choisir quels patients traiter. C’est une décision inhumaine que personne ne devrait jamais prendre ». Derrière les chiffres, c’est la survie de tout un écosystème sanitaire qui se joue dans les collines du Nord-Kivu.
Article Ecrit par Amissi G
Source: Actualite.cd