Dans un quartier précaire de Goma, au Nord-Kivu, Jeanne*, mère de six enfants, raconte d’une voix brisée : « Nous avons fui les combats à trois reprises depuis 2022. Ici, on survit sans eau potable ni école pour les petits. La nuit, les violences sexuelles guettent. » Son témoignage illustre l’urgence qui motive la visite de Paula Gaviria Betancur, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits des déplacés internes, en RDC jusqu’au 30 mai 2025.
Cette mission historique – la première d’un expert onusien depuis 13 ans – braque les projecteurs sur un drame méconnu : 6,9 millions de Congolais errent dans leur propre pays selon le HCR. Un chiffre qui masque des réalités locales explosives. « Le Tanganyika vit un déplacement silencieux à cause des conflits fonciers, pendant que l’Ituri s’enfonce dans une crise ethnique à retardement », analyse un membre d’ONG sous couvert d’anonymat.
La délégation onusienne affronte un casse-tête multidimensionnel. Outre les conflits armés traditionnels au Nord-Kivu, de nouvelles causes de déplacement émergent : projets de conservation contestés dans le bassin du Congo, exploitation minière débridée au Katanga, ou encore catastrophes climatiques comme les inondations récurrentes à Kinshasa. « Ces déracinements successifs créent une génération traumatisée, sans ancrage territorial ni mémoire collective », souligne le professeur de sociologie Albert Tshibanda.
L’enjeu des solutions durables plane sur toute la visite. Faut-il privilégier le retour des déplacés dans leurs villages d’origine ? Ou acter leur installation définitive dans des zones urbaines déjà surpeuplées ? La question divise. « Certains sites de déplacés à Bunia datent de 2003 », s’alarme une travailleuse humanitaire. « On normalise l’inacceptable en parlant de ‘déplacement prolongé’ au lieu de reconnaître l’échec collectif. »
Le gouvernement congolais, partenaire clé de cette mission, marche sur des œufs. Alors que les bailleurs internationaux réclament plus d’engagements contre l’impunité, Kinshasa met en avant son « Plan national de développement 2023-2027 ». Un programme ambitieux mais sous-financé, selon les experts. « Sans règlement politique des conflits à l’Est, toute solution reste un pansement sur une jambe de bois », tranche un diplomate européen.
Les attentes des concernés transcendent les bonnes intentions. À Masisi, des déplacés interrogés réclament d’abord « la paix avant les vivres ». D’autres, à Kalemie, demandent des titres de propriété pour leurs nouvelles parcelles. La Rapporteuse onusienne devra naviguer entre ces urgences immédiates et les réformes structurelles. Son rapport final, attendu en septembre 2025, pourrait relancer le débat sur la responsabilité internationale face à cette crise protéiforme.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net