Dans les ruelles animées de Kinshasa, les kiosques de paris sportifs fleurissent à chaque coin de rue. Parmi la foule, des visages juvéniles se pressent autour des écrans, scrutant les cotes avec une fièvre inquiétante. « J’ai commencé pour m’acheter des baskets, maintenant je dois 150$ à mon bookmaker », confie Junior, 19 ans, les yeux rivés sur son ticket de pari. Ce témoignage illustre une réalité alarmante : l’addiction aux paris sportifs mine l’avenir de toute une génération.
La récente loi sur les jeux d’argent adoptée en avril 2025 promettait pourtant un cadre plus sécurisé. Mais sur le terrain, les contrôles restent lettre morte. Comment expliquer cette faille béante entre les textes et leur application ? Les mineurs accèdent sans difficulté aux salles de jeu, transformant parfois l’argent du transport scolaire en mise désespérée.
Une bombe sociale à retardement
« Ce n’est plus du divertissement, mais une machine à broyer les rêves », dénonce Jacquie-Anna Kitoga, coordinatrice du STN2250-RDC. Son constat est sans appel : 35% des joueurs réguliers sont des femmes selon une étude universitaire récente, tandis que les abandons scolaires explosent dans les quartiers populaires. Les publicités omniprésentes vantant les gains faciles font-elles office de piège à pauvreté ?
Responsabilités partagées, solutions collectives
L’avocat Pierre Mbuyu tire la sonnette d’alarme : « L’État doit criminaliser l’accès des mineurs aux paris, mais les parents ont aussi leur rôle à jouer ». Pourtant, dans un pays où le chômage des jeunes frôle les 60%, comment reprocher à ces derniers de chercher une issue de secours ? Les Églises et les médias sont appelés à se mobiliser pour offrir des alternatives concrètes.
La nouvelle régulation prévoit un cadre fiscal strict pour les opérateurs. Mais qui contrôle réellement les centaines de kiosques clandestins ? « Les tenanciers ferment boutique à l’approche des inspecteurs pour rouvrir deux rues plus loin », explique un agent municipal sous couvert d’anonymat. Cette course-poursuite rend toute application sérieuse de la loi illusoire.
L’éducation en première ligne
Dans les salles de classe, les enseignants sonnent l’alarme. « Mes élèves récitent les cotes du jour mieux que leurs leçons », regrette une professeure de mathématiques du lycée Motema Mpiko. Les conséquences dépassent le cadre scolaire : endettement précoce, délinquance, perte de repères… La jeunesse kinoise joue-t-elle son avenir à pile ou face ?
Face à ce tsunami social, les solutions émergent timidement. Certaines ONG organisent des ateliers de sensibilisation dans les écoles, tandis que des leaders religieux appellent au boycott des publicités pour les jeux d’argent. Mais sans réelle coordination nationale, ces initiatives restent des gouttes d’eau dans un océan de détresse.
Le défi est de taille : transformer une loi bien intentionnée en bouclier efficace pour la jeunesse. Cela passera nécessairement par un renforcement des contrôles, une éducation financière précoce et surtout, des perspectives d’avenir alternatives à ce mirage des gains faciles. L’enjeu dépasse la simple régulation sectorielle : c’est la construction de toute une société qui se joue aujourd’hui dans les salles de paris de Kinshasa.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
