Dans la chaleur étouffante de Goma, une foule se presse devant l’église Sainte-Famille. Sur les murs, une affiche jaunie résiste aux intempéries : « Floribert vivant, la corruption mourra ». Ce cri gravé dans la mémoire collective prend aujourd’hui une résonance mondiale. Le 15 juin 2025, le pape François élèvera au rang de bienheureux ce jeune contrôleur frontalier congolais, martyr d’une vertu devenue héroïque : l’intégrité.
Un refus qui dérange
Nous sommes en juillet 2007. Floribert Bwana Chui, 26 ans, inspecteur à l’Office Congolais de Contrôle (OCC), bloque un convoi de 16 tonnes de farine avariée en provenance du Rwanda. Malgré les menaces et les offres de pots-de-vin – l’équivalent de dix ans de salaire –, le jeune père de famille reste inflexible. « Est-ce que je vis pour le Christ ou pas ? », répétait-il à ses collègues. Trois jours plus tard, son corps sans vie était retrouvé dans une rue de Goma.
De l’ombre des rues à la lumière des autels
Qui aurait imaginé que ce modeste laïc, engagé auprès des enfants des rues avec la Communauté Sant’Egidio, deviendrait un symbole continental ? « Sa béatification n’est pas qu’un acte religieux », souligne Monseigneur Willy Ngumbi, évêque de Goma. « C’est un miroir tendu à toute notre société. Combien d’entre nous auraient résisté à cette pression ? »
La double cérémonie – à Rome puis à Goma le 8 juillet 2025 – cristallise les enjeux. Alors que le Nord-Kivu traverse une nouvelle crise sécuritaire, l’Église catholique place en avant un modèle local de résistance éthique. « Floribert montre qu’on peut être saint dans son travail quotidien », commente un jeune entrepreneur rencontré devant l’ancien bureau du martyr.
Un remède contre le cynisme ?
Dans un pays classé 166e sur 180 à l’indice de perception de la corruption (Transparency International 2023), ce geste papal interroge. « La reconnaissance d’un martyr de l’honnêteté, est-ce un encouragement ou un constat d’échec ? », s’interroge une militante des droits humains. Les faits donnent raison aux sceptiques : selon la Banque mondiale, la corruption coûterait encore 15% du PIB congolais.
Pourtant, des signaux faibles émergent. Depuis 2023, plusieurs hauts fonctionnaires du Nord-Kivu ont refusé des pots-de-vin en invoquant l’exemple de Floribert. « Son histoire nous rappelle que chaque choix compte », témoigne une contrôleuse des finances publiques. L’Université de Goma vient d’introduire un module d’éthique professionnelle basé sur son parcours.
Le paradoxe congolais
La béatification intervient dans un contexte trouble. Alors que Rome célèbrera la cérémonie solennelle, Goma se prépare à commémorer dans la douleur les 18 ans du sacrifice de Floribert. Entre espoir et amertume, une question persiste : combien de Floribert faudra-t-il pour que les produits avariés – matériels et moraux – cessent de traverser les frontières ?
En cette veille de célébration, une mère de famille résume le sentiment ambivalent : « Je suis fière qu’on honore mon neveu, mais triste qu’on ait dû le tuer pour ça. » Du martyre individuel naîtra-t-il une conversion collective ? L’histoire congolaise, souvent tragique, écrit ici un chapitre inédit où la sainteté se mêle au combat citoyen.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd