Une opération d’envergure menée par l’Office national des produits agricoles du Congo (ONAPAC) a conduit à l’interception de 5 tonnes de cacao dans le secteur de Ruwenzori, au Nord-Kivu. Les 118 sacs saisis, appartenant à 17 opérateurs économiques locaux, tentaient de franchir illégalement la frontière ougandaise. Cette saisie, qualifiée d’« exemplaire » par les autorités, révèle les fissures d’un système économique parallèle qui alimente autant la fraude que l’insécurité régionale.
« Le trafic du cacao n’est pas anodin : il suit des circuits structurés qui contournent les normes congolaises et internationales », a martelé Kaswera Syvialeghana Alphonsine, directrice de l’ONAPAC à Beni. Son message, adressé aux opérateurs économiques, souligne la rigueur accrue des contrôles. Les sacs interceptés, d’une valeur estimée entre 30 000 et 37 500 dollars selon les cours actuels (6 à 7,5 USD/kg), ont été rapatriés vers l’entrepôt officiel de Beni, sous scellés judiciaires.
Derrière cette interception se cache une réalité économique troublante : la différence de prix entre la RDC et l’Ouganda crée un appel d’air pour les exportations frauduleuses. Alors que le kilogramme de cacao congolais peine à dépasser 7,5 USD, les marchés ougandais offriraient des marges plus attractives. Une concurrence transfrontalière qui, selon des experts, « déstabilise la filière légale et prive l’État de revenus fiscaux essentiels ».
Mais l’enjeu dépasse l’économie. Plusieurs rapports internationaux lient ce trafic au financement des groupes armés, dont les ADF. Ces islamistes, responsables de milliers de morts depuis 2014, tireraient profit de l’exportation illicite via des réseaux complexes. « Chaque sac frauduleux pourrait signifier une arme en plus dans les mains des insurgés », analyse un consultant sous couvert d’anonymat.
Comment une denrée aussi vitale que le cacao peut-elle devenir un instrument de déstabilisation régionale ? La réponse réside dans les failles du contrôle étatique et la porosité des frontières. Les opérateurs impliqués, résidant majoritairement dans les communes de Lume et Bulongo, bénéficieraient de complicités locales pour évacuer leur marchandise hors des radars officiels.
Le parquet de Beni, saisi par l’ONAPAC, a ouvert une instruction judiciaire. Certains des 17 opérateurs identifiés ont assisté au constat sans s’exprimer. Cette discrétion contraste avec l’ampleur présumée du réseau : selon une source sécuritaire, « cette saisie ne représente que la partie émergée d’un trafic mensuel estimé à 20 tonnes ».
À long terme, cette affaire pose la question de la viabilité du secteur cacaoyer congolais. Alors que la RDC ambitionne de développer une filière d’exportation légale, ces pratiques illicites sapent les efforts de normalisation. Pour inverser la tendance, l’ONAPAC plaide pour un renforcement des sanctions et une harmonisation régionale des prix. Reste à savoir si ces mesures suffiront à tarir les financements occultes qui nourrissent l’instabilité du Nord-Kivu.
Article Ecrit par Amissi G
Source: Actualite.cd