Dans la cité frontalière de Kasindi-Lubiriha à Beni, au Nord-Kivu, un cri d’alarme résonne entre les murs de l’orphelinat Tukinge Yatima. Une centaine d’enfants, dont les parents ont péri sous les balles ou les machettes des groupes armés, réclament un avenir. « Moi, ce que je veux pour le gouvernement, c’est d’abord une école et un hôpital », lance l’un d’eux, les yeux rivés sur une photo de son père militaire, originaire de Mbandaka.
Ces orphelins militaires, issus de l’Équateur, du Bandundu ou du Kasaï, portent un héritage lourd : celui de parents tombés pour la nation. « Leurs papas servaient le pays, mais ils ont été égorgés, brûlés… Et maintenant, qui les écoute ? », interroge Desanges Kavugho, responsable de l’orphelinat. Son plaidoyer est clair : un centre d’encadrement scolaire et de détraumatisation, couplé à un hôpital, est une urgence vitale.
La situation révèle une fracture sociale criante. Comment la RDC peut-elle honorer la mémoire de ses soldats tout en laissant leurs enfants grandir sans accès à l’éducation ou aux soins ? La majorité des pensionnaires de Tukinge Yatima sont en âge scolaire, mais fréquentent des classes surchargées ou inexistantes. « Sans école, comment briser le cycle de la violence ? Sans médecin, comment soigner les blessures invisibles ? », martèle Kavugho.
Le Nord-Kivu, épicentre de conflits depuis des décennies, compte des milliers d’orphelins de guerre. Pourtant, les structures d’accueil spécialisées se comptent sur les doigts d’une main. Les témoignages recueillis dessinent une réalité glaçante : traumatismes non pris en charge, infections traitées avec des médicaments périmés, rêves d’études réduits en cendres. Un adolescent, dont la mère a été tuée à Lubero, confie : « Je veux devenir médecin pour sauver ceux qui souffrent comme moi. Mais ici, même les cahiers manquent. »
En toile de fond, une question cruciale se pose : la prise en charge des orphelins militaires relève-t-elle uniquement de la charité locale ? Pour les acteurs sur le terrain, l’État doit assumer sa responsabilité historique. « Construire un hôpital et une école, ce n’est pas une faveur. C’est réparer un contrat social brisé », insiste un travailleur social de la région.
Alors que les donateurs internationaux concentrent leurs efforts sur l’urgence humanitaire, Tukinge Yatima rappelle une évidence : sans investissement dans l’éducation et la santé mentale, aucune paix durable ne verra le jour au Nord-Kivu. Ces enfants, ballotés entre les frontières et les conflits, attendent plus que des promesses : des salles de classe où écrire leur revanche sur le destin, des lits d’hôpital pour panser les plaies d’une guerre qui n’est pas la leur.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net