Depuis mercredi 14 mai, l’hémicycle de l’Assemblée nationale congolaise ressemble à une arène judiciaire improvisée. Le ministre d’État à la Justice, Constant Mutamba, est sous le feu des questions orales de deux députés déterminés à percer le mystère entourant la construction d’une nouvelle prison à Kisangani. Fontaine Mangala et Willy Mishiki, élus de Kisangani et Walikale, brandissent des chiffres qui font frémir : 39 millions de dollars décaissés sans respect des procédures de marchés publics. Une somme colossale qui soulève autant de doutes que d’indignations.
« Comment justifier un tel montant en dehors des canaux légaux ? », interroge, non sans ironie, un observateur politique. Le député Mishiki, dans une escalade rhétorique, évoque un « système de prédation financière » impliquant jusqu’aux ministères du Budget et des Finances. La CENAREF, dans une correspondance adressée à la Première ministre Judith Suminwa, apporte de l’huile sur le feu : 19 millions de dollars auraient transité vers le compte d’une société privée, créée récemment et choisie dans une opacité troublante. Une révélation qui transforme les soupçons en tempête médiatique.
En réponse, le ministre des Finances tente de désamorcer la crise via un communiqué laconique : « Aucun paiement n’a été effectué ». Une déclaration en demi-teinte qui contraste avec les aveux partiels de Constant Mutamba. Ce dernier reconnaît l’existence du projet – présenté comme une « priorité nationale » pour désengorger les prisons de l’Est – mais minimise les chiffres : 29 millions de dollars pour 3 000 places pénitentiaires. « Les fonds sont séquestrés, inaccessibles à l’entrepreneur », insiste-t-il, comme pour conjurer les fantômes de la défiance.
Pourtant, les contradictions persistent. Pourquoi une entreprise novice bénéficierait-elle d’un contrat étatique si sensible ? Comment expliquer l’écart entre les 39 millions dénoncés et les 29 millions avoués ? La Première ministre, désormais saisie du dossier, devra trancher ce nœud gordien financier. Entre-temps, les réseaux sociaux s’embrasent, transformant chaque détail en une pièce accusatoire. Le hashtag #PrisonGate devient le symbole d’une opinion publique exaspérée par les scandales récurrents.
Au-delà des chiffres, c’est la crédibilité des réformes institutionnelles qui est en jeu. La promesse de transparence des budgets publics, chantier prioritaire du gouvernement, prend un sérieux coup dans l’aile. « Ce dossier est un test pour Judith Suminwa », analyse un expert en gouvernance. « Si elle laisse filer, elle légitimera l’impunité. Si elle sanctionne, elle risquera des représailles au sein de sa majorité. » Les prochaines semaines diront si Kinshasa choisit la pédagogie du choc ou l’étouffement politique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd