« Nous avions cru à une nouvelle ère pour nos enfants. Aujourd’hui, l’école Tusaidiane ressemble à un décor de cinéma abandonné », se désole Kanku Mwamba, parent d’élève à Lubudi. Ce témoignage poignant résume le naufrage du Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T) dans le Lualaba. Un rapport accablant de la société civile provinciale révèle l’ampleur des dérives d’un projet censé réduire les inégalités territoriales.
À Lubudi, le tableau oscillera entre espoirs trahis et chantiers fantômes. Seules quelques écoles comme l’E.P. Tusaidiane échappent à la malédiction des projets inachevés. Mais ailleurs, c’est le désert : pas de forage d’eau potable, pas de ponts, des routes agricoles restées à l’état de lignes sur des plans poussiéreux. La chefferie de Mulumbu incarne ce gâchis : zéro réalisation sur les 12 infrastructures promises. « Comment expliquer à nos paysans que les chaînes de valeur agricoles existent seulement dans les rapports officiels ? », interroge un responsable local sous couvert d’anonymat.
Le territoire de Dilolo plonge dans une absurdité bureaucratique. L’école EP Tambwe Kulenga à Muyeye dresse ses murs nus vers le ciel, toit absent, portes inexistantes. Des squelettes de béton qui défient toute logique de développement. Pendant ce temps, à Sandoa, les premiers coups de pioche se font toujours attendre sur 70% des sites. La population contemple des panneaux de projet jaunis par le soleil, ultime trace d’une volonté politique évanescente.
Même constat d’échec à Mutshatsha où les rares chantiers initiés progressent au rythme d’une tortue malade. Les routes de désenclavement ? Un mirage. Les logements administratifs ? Des cases vides sur des tableaux Excel. « Chaque mois, on nous promet la reprise des travaux. Nous attendons depuis deux saisons des pluies », fulmine un chef coutumier de la région.
La Coordination des Forces Vives pointe un mal congolais récurrent : la gestion en mode stop-and-go. Les entreprises sous-traitantes dénoncent des retards de paiement paralysants. « Sans liquidités, comment acheter le ciment ou payer les ouvriers ? », s’emporte un entrepreneur préférant taire son nom. Cette hémorragie financière crée une cascade d’abandons qui pénalise directement les communautés.
Le rapport épingle trois agences clés : PNUD, BCeCo et CFEF. Chargées de piloter le PDL-145T, elles semblent naviguer à vue dans la tourmente. La société civile exige un audit indépendant et la publication des calendriers révisés. « Construire sans terminer équivaut à détruire », rappelle le document, citant un proverbe local qui sonne comme un avertissement.
En filigrane se dessine une crise de confiance majeure. Les populations commencent à douter de l’utilité même des projets de développement. « À quoi bon participer aux réunions communautaires si c’est pour voir nos contributions s’évaporer dans des rapports fictifs ? », questionne une enseignante de Dilolo. Cette défiance risque de compromettre toute initiative future, aussi bien intentionnée soit-elle.
La balle est désormais dans le camp de la Gouverneure Fifi Masuka. Les Forces Vives réclament une session de crise avec les agences impliquées. Le Ministère de l’Intérieur et l’Assemblée provinciale ont également été saisis. Reste à savoir si cette interpellation produira plus d’effets que les murs inachevés du PDL-145T.
Derrière ce fiasco, c’est toute la gouvernance locale qui est mise à l’épreuve. Le Lualaba peut-il se permettre de gaspiller des opportunités de développement tandis que sa population trime dans des conditions précaires ? La réponse à cette question déterminera non seulement l’avenir du PDL-145T, mais aussi la crédibilité des institutions congolaises en matière de décentralisation.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd