La plénière du Sénat congolais a ouvert jeudi 15 mai un chapitre politico-juridique épineux en examinant la demande de levée d’immunité de Joseph Kabila, sénateur à vie et ancien président accusé de complicité avec la rébellion M23. Une commission technique a été mandatée pour analyser sous 72 heures le réquisitoire de l’auditeur général des FARDC, déclenchant une tempête d’interprétations constitutionnelles. Le processus, qualifié d’« inédit » par certains observateurs, soulève une question centrale : le Sénat a-t-il l’autorité juridique pour statuer sur le sort d’un ancien chef de l’État ?
La séance, initialement prévue à 13h00, a débuté avec plus de deux heures de retard, symptôme des tensions palpables dans l’enceinte parlementaire. Derrière les portes closes du huis clos, les sénateurs ont buté sur l’article 224 de leur règlement intérieur. Certains y voient un verrou constitutionnel imposant un vote du Congrès, tandis que d’autres plaident pour une compétence exclusive de la chambre haute. « C’est un duel entre la lettre de la loi et la pratique politique », analyse un constitutionnaliste sous couvert d’anonymat.
Les accusations portées contre Kabila – crimes de guerre, massacres de civils et soutien présumé aux groupes armés – placent ce dossier dans une dimension judiciaire sans précédent. Pourtant, c’est sur le terrain procédural que la bataille fait rage. L’ASADHO, par la voix de son président Jean-Claude Katende, fustige une « aventure illégale » : « Le Sénat joue avec le feu institutionnel. Imaginer contourner le Congrès revient à piétiner la loi sur le statut des anciens présidents. » Une critique relayée par des parlementaires de l’opposition, qui brandissent la menace d’un « précédent dangereux » pour l’équilibre des pouvoirs.
La mise en place d’une commission technique, chargée d’auditionner l’intéressé absent du territoire depuis plus d’un an, ajoute une couche de complexité. Comment interroger un homme protégé par son statut d’ancien président ? Certains sénateurs évoquent discrètement la possibilité d’un vote symbolique, tandis que d’autres insistent sur la nécessité de respecter « chaque virgule » de la procédure. « Cette commission est un couteau à double tranchant », confie un cadre du parti au pouvoir. « Elle permet de gagner du temps, mais risque d’exposer les fractures internes du régime. »
L’enjeu dépasse la simple levée d’immunité. À Kinshasa, nombreux sont ceux qui y voient un test pour la crédibilité du processus de « rupture » prôné par le président Tshisekedi. La manœuvre pourrait-elle fragiliser définitivement l’alliance de circonstance avec le camp kabiliste ? Ou au contraire, marquerait-elle l’acte final d’une longue transition politique ? Les prochaines 72 heures s’annoncent déterminantes, alors que la commission devra naviguer entre pression judiciaire, calculs partisans et impératifs constitutionnels.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net