La tempête politique qui secoue le ministère de la Justice congolais prend des allures de feuilleton judiciaire. Deux questions orales avec débat, déposées à l’Assemblée nationale ce mercredi, visent directement Constant Mutamba, ministre d’État en charge du portefeuille. Au cœur du cyclone : 39 millions de dollars destinés à la construction d’une nouvelle prison à Kisangani, dont le parcours financier semble échapper à toute logique administrative.
« Comment expliquer qu’un projet d’utilité publique soit entaché d’autant d’opacité ? », interroge Fontaine Mangala, député de Kisangani. Sa saisine, fondée sur les articles 100 et 138 de la Constitution, pointe un enchaînement troublant : absence de passation régulière des marchés, flou artistique sur les décaissements, et silence assourdissant du ministère de la Justice. Le parlementaire exige des « explications circonstanciées » devant l’hémicycle, transformant le dossier en véritable test de crédibilité pour l’exécutif.
À cette offensive parlementaire s’ajoute une charge plus corrosive encore. Willy Mishiki, élu de Walikale, brandit un paradoxe troublant : le communiqué du ministère des Finances niant tout paiement contredit les informations circulant dans les couloirs du pouvoir. « Y a-t-il eu détournement de fonds publics ou simple incompétence gestionnaire ? », lance-t-il, exigeant une comparution groupée des ministres de la Justice, du Budget et des Finances. Une manœuvre qui place Constant Mutamba dans une position délicate, coincé entre les exigences de transparence et les non-dits budgétaires.
Les réactions en chaîne ne se font pas attendre. Alors que les réseaux sociaux s’embrasent sous le hashtag #PrisonKisanganiGate, le ministère des Finances tente d’éteindre l’incendie par un démenti formel. « Aucun versement n’a été effectué pour ce projet », assure-t-il dans un communiqué laconique. Une affirmation qui soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses : pourquoi des fonds budgétés n’auraient-ils pas été engagés depuis 2022 ? Quel rôle joue réellement le ministre Mutamba dans cette valse des enveloppes financières ?
Les implications de cette affaire dépassent le simple scandale financier. Elle met en lumière les failles béantes du système de contrôle des dépenses publiques en RDC. « Ce dossier est symptomatique d’une gestion à vue », analyse un expert budgétaire sous couvert d’anonymat. « Entre les crédits fantômes et les procédures contournées, nous assistons à un véritable cas d’école de l’opacité financière congolaise. »
La balle est désormais dans le camp de l’Assemblée nationale. L’audition des ministres concernés, si elle a lieu, pourrait faire office de séance de vérité. Mais dans un contexte où les majorités parlementaires se construisent et se défont au gré des intérêts, quelle force contraignante possèdent réellement ces questions orales ? Le président de l’Assemblée nationale devra ici arbitrer entre loyalisme politique et exigence de redevabilité.
Alors que Kinshasa bruisse de rumeurs sur d’éventuels remaniements ministériels, Constant Mutamba se retrouve dos au mur. Sa capacité à fournir des preuves tangibles de sa bonne foi déterminera non seulement son avenir politique, mais aussi la crédibilité du gouvernement face à une opinion publique de plus en plus méfiante. L’enjeu dépasse la simple construction pénitentiaire : c’est la légitimité même de la gestion des deniers publics qui se joue dans cet imbroglio kisanganais.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
