Six ans après sa publication officielle au Journal Officiel de la République démocratique du Congo, le Protocole de Maputo demeure confronté à des obstacles persistants dans son application, particulièrement concernant l’accès à l’avortement sécurisé. L’article 14.2.C de cet instrument juridique, pourtant intégré au droit congolais depuis 2018, autorise l’interruption volontaire de grossesse en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la santé physique ou mentale de la femme. Une disposition qui se heurte frontalement aux articles 165 à 167 du code pénal actuel, toujours en vigueur, qui criminalisent toute pratique abortive.
Cette contradiction légale a conduit l’ONG Ipas à initier un programme de formation intensif à l’intention des acteurs clés de la réforme judiciaire. Du 13 au 14 mai 2025, quinze membres de la Commission permanente de réforme du droit congolais (CPRDC) ont participé à Kinshasa à un atelier de Clarification des valeurs et transformation des attitudes (CVTA). Objectif affiché : lever les résistances culturelles et juridiques entravant l’opérationnalisation du Protocole de Maputo.
Le Dr Mboma Michael, consultant pour Ipas, souligne l’urgence de cette démarche : « La coexistence de deux régimes juridiques antagonistes crée une insécurité normative intenable. Les professionnels de santé risquent des poursuites pénales même lorsqu’ils appliquent les exceptions prévues par le Protocole ». Cette situation génère selon lui un « effet dissuasif catastrophique » sur l’accès aux soins, plongeant les femmes dans une précarité sanitaire évitable.
Un chantier législatif à haut risque
Au cœur des débats : l’épineuse révision des dispositions pénales relatives à l’avortement. Les participants ont examiné le Guide de facilitation sur le Protocole de Maputo, outil pédagogique visant à concilier normes internationales et réalités socioculturelles congolaises. « Il ne s’agit pas d’imposer un modèle étranger, mais d’appliquer des engagements librement souscrits par l’État », précise un formateur ayant requis l’anonymat.
Les échanges ont révélé des résistances tenaces. Certains magistrats redoutent une « banalisation de l’avortement », tandis que des défenseurs des droits humains dénoncent une « hypocrisie législative ». Comment concilier ces positions apparemment irréconciliables ? La méthodologie CVTA propose justement de dépasser les clivages idéologiques par un travail sur les représentations mentales.
Vers un changement de paradigme législatif ?
Le Dr Mboma insiste sur la dimension transformative de l’approche : « Nous avons confronté les participants à des études de cas concrets : adolescentes violées par des groupes armés, femmes séropositives contraintes à des grossesses à risques… Ces mises en situation permettent de passer d’un débat abstrait à une réflexion humanisée ». Une stratégie qui semble porter ses fruits : trois magistrats formés lors d’ateliers précédents ont déjà rendu des décisions alignées sur le Protocole dans des affaires complexes.
Reste à traduire cette évolution dans le marbre législatif. La prochaine mouture du code pénal, attendue pour 2026, constituera un test décisif. Les promoteurs de la réforme espèrent y voir inscrire noir sur blanc les exceptions abortives du Protocole de Maputo, accompagnées de garanties procédurales strictes. Un équilibre délicat entre protection des droits reproductifs et prévention des dérives.
Cette initiative s’inscrit dans un mouvement plus large de modernisation du cadre juridique congolais relatif à la santé reproductive. Avec un enjeu sous-jacent : faire évoluer les mentalités sans heurter de front les conservatismes religieux et traditionnels. Le chemin reste semé d’embûches, mais les formateurs se veulent optimistes : « Chaque magistrat convaincu devient un ambassadeur du changement au sein de l’appareil judiciaire ».
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd