Dans les collines verdoyantes de Pinga, au cœur du Nord-Kivu, un silence numérique étrangle progressivement la vie quotidienne. « Hier, une femme enceinte a dû parcourir 15 km à pied pour obtenir une ordonnance électronique », raconte Marie*, infirmière dans un centre de santé les mains tremblantes d’impuissance. Comme elle, des milliers de personnes subissent depuis deux semaines une coupure totale des réseaux Vodacom et Airtel, plongeant cette région déjà fragilisée dans une crise aux multiples visages.
Comment une panne de téléphonie peut-elle menacer des vies ? La réponse se lit dans les registres médicaux de l’hôpital général de référence de Pinga. Sans mobile money, les patients ne peuvent plus payer les analyses urgentes. « On doit choisir entre laisser mourir un malade ou travailler à crédit », soupire un médecin sous couvert d’anonymat. Les stocks de médicaments s’amenuisent, tandis que les cas de paludisme augmentent de 40% selon des sources hospitalières.
Cette isolement numérique transforme chaque transaction banale en parcours du combattant. Au marché central, les commerçants montrent leurs téléphones inertes. « Avant, je recevais l’argent scolaire de mes enfants par M-Pesa. Maintenant, je dois risquer la route des rebelles pour aller à Masisi », témoigne Amisi, mère de quatre enfants. La Route Nationale 2, contrôlée par les combattants du M23, devient le seul lien ténu avec le monde extérieur.
En coulisses, une bataille logistique se joue. Les groupes électrogènes des antennes-relais sont à sec. « Le carburant n’arrive plus depuis Goma », explique Julien Buunda du CITC/Pinga. Son appel aux autorités résonne dans le vide des ondes : « Comment voulez-vous gérer une crise humanitaire sans communication ? » Les humanitaires, eux, alertent sur une bombe sanitaire à retardement alors que 65% des déplacés vivent dans des abris de fortune.
L’impact économique est tout aussi ravageur. Les coopératives agricoles ne peuvent plus négocier les prix avec Goma. « Nos caféiculteurs se font arnaquer par des intermédiaires qui profitent de notre isolement », dénonce le président d’une association paysanne. Une économie parallèle émerge, où le taux de change explose et où le risque d’escroquerie atteint des sommets.
Cette crise met en lumière une vérité crue : dans les zones de conflit comme le Nord-Kivu, le réseau mobile est devenu un service vital au même titre que l’eau potable. Les autorités promettent un rétablissement « sous peu », mais sur le terrain, personne n’y croit vraiment. Entre-temps, chaque heure sans connexion creuse un peu plus le fossé de la détresse humaine.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net