Dans les méandres de Kinshasa, où l’art et la terre se conjuguent au présent, Judith Kaluaji sculpte son propre langage. Entre les planches de bande dessinée et les sillons d’un champ, cette artiste aux multiples facettes incarne une génération qui réinvente les frontières de la création. Son atelier ? Un carrefour où se croisent les héritages franco-belges, les récits congolais et le murmure persistant de la terre nourricière.
« L’art est un acte de résistance », confie-t-elle, les mains encore tachées d’encre et de terre. Son parcours, semblable à une palette aux couches superposées, révèle une alchimie singulière : celle qui transforme le pigment en semence, et le trait de crayon en sillon fertile. Influencée par les maîtres comme Duchâteau tout autant que par les bédéistes locaux – Tembo Kash, Barly Baruti –, Kaluaji puise dans cette double généalogie pour forger des récits où le réalisme graphique épouse les contours de l’imaginaire collectif.
Sa méthode pédagogique ? Une révolution en douceur. « Avec les enfants, je cultive d’abord la liberté », explique-t-elle, évoquant ces ateliers où les fanzines deviennent des champs d’expression. Ici, pas de modèles imposés, mais l’éclosion de regards singuliers. Une approche qui rappelle les cycles agricoles : patience, écoute, confiance dans le germe créatif. Et si l’éducation artistique en RDC trouvait son ferment dans cette philosophie du terreau fertile ?
Le projet agricole de Kaluaji – élevage de porcs et volailles – n’est pas un simple appendice à sa pratique artistique. « Prendre soin des poules, c’est apprendre l’attention au vivant », souffle-t-elle, traçant un parallèle insoupçonné entre le geste de l’éleveur et celui du dessinateur. Cette symbiose entre culture vivrière et création interroge : et si la souveraineté alimentaire et culturelle partageaient les mêmes racines ?
À travers des festivals comme Kin Anima Bulles, l’artiste mesure l’urgence des récits africains. « Nos histoires ne sont pas des curiosités exotiques, mais des miroirs », insiste-t-elle. Un credo qui résonne particulièrement dans son prochain projet : une bande dessinée sur Kimpa Vita, prophétesse kongolaise du XVIIIe siècle. Ici, les traits de crayon deviennent actes de mémoire, reliant les luttes féminines d’hier et d’aujourd’hui.
Son exposition à Erlangen en 2024 a révélé cette tension dialectique : face au public européen fasciné par « l’authenticité congolaise », Kaluaji oppose une œuvre qui transcende les clichés. « À Kinshasa, mes dessins deviennent des confidents », observe-t-elle. Cette dualité nourrit son engagement – faire de l’art un pont entre les rives du Congo et du monde.
Avec le collectif Kin Label, l’artiste a forgé sa conception de la création comme acte politique. « Nos fanzines sont des manifestes », lance-t-elle, évoquant ces publications où chaque case de BD devient une tribune. Une vision qui trouve écho dans son combat pour la place des femmes dans la bande dessinée congolaise. « Nous ne demandons pas notre place, nous la prenons », affirme celle qui figura dans la revue « Amazone BD » – espace rare dédié aux créatrices.
À l’aube de sa résidence à Grenoble et de sa participation au festival BDFIL de Lausanne, Judith Kaluaji incarne une nouvelle voie : celle d’une artiste-paysanne qui sème les graines d’un futur où art et terre ne font qu’un. Son message ? « Cultivons nos imaginaires comme nos champs – avec persévérance et amour. » Et si l’avenir de la RDC se jouait dans cet entrelacement fécond ?
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc