« Imaginez devoir identifier le corps d’un proche en décomposition avancée, simplement parce que la morgue n’a plus d’électricité ». La voix tremblante, un habitant de Gbadolite décrit l’indicible. Depuis l’inondation de la centrale hydroélectrique de Mobayi-Mbongo le 23 octobre 2024, le Nord-Ubangi vit un cauchemar aux multiples facettes. À l’hôpital général de référence, le groupe électrogène de secours, sursollicité, ne suffit plus. Résultat : des corps se décomposent prématurément, des blocs opératoires paralysés, et une population au bord de l’asphyxie.
Le drame dépasse l’entendement. Dans la morgue, les familles découvrent des dépouilles méconnaissables, les effluves nauséabonds se répandant dans l’enceinte médicale. « C’est une bombe sanitaire », lance une infirmière sous couvert d’anonymat. Les services de maternité et de soins intensifs ne sont pas épargnés. Trois décès directement liés aux pannes récurrentes ont déjà été enregistrés, selon des sources hospitalières.
À 25 km de là, la centrale de Mobayi-Mbongo ressemble à un chantier fantôme. Les équipes de la SNEL luttent depuis des semaines contre les stigmates des eaux. Si le dénoyage des installations est achevé, l’alternateur du groupe n°2 résiste. « L’humidité a corrode les circuits », explique un technicien découragé. Malgré plusieurs missions envoyées depuis Kinshasa, aucun calendrier précis de redémarrage n’est communiqué.
Les conséquences sociales sont vertigineuses. Les commerces ferment à la tombée du jour, les écoles improvisent des cours au soleil, et le prix des groupes électrogènes a flambé de 300 %. « On revient à l’âge des ténèbres », ironise un enseignant, lampe torche en main. La criminalité, elle, profite de l’obscurité persistante pour se déployer.
Jusqu’où cette spirale infernale va-t-elle entraîner les habitants de Gbadolite ? La question hante les responsables locaux. Alors que la SNEL promet une solution « dans les meilleurs délais », des voix s’élèvent pour dénoncer l’abandon des régions périphériques. « Pourquoi Kinshasa réagit plus vite quand c’est la capitale qui manque d’électricité ? » s’insurge un leader communautaire.
Cette crise met en lumière un enjeu national : la vulnérabilité énergétique de la RDC. Alors que le pays possède l’un des plus grands potentiels hydroélectriques d’Afrique, des villes entières restent à la merci d’une seule centrale vétuste. Gbadolite aujourd’hui, mais quelle sera la prochaine ? Derrière les corps qui pourrissent et les respirateurs qui s’arrêtent, c’est tout un modèle de développement qui vacille.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd