« Chaque matin, c’est la même galère. Entre les sacs de charbon qui débordent sur la chaussée et les paniers de poissons qui pourrissent au soleil, on se demande si notre vie a encore un prix ». La voix tremblante de Josué, habitant du quartier Ngaba, résume l’exaspération des riverains face au marché anarchique qui étouffe le rond-point éponyme. Une scène de chaos urbain où se télescopent précarité, insalubrité et négligence institutionnelle.
À quelques encablures du centre-ville, ce carrefour stratégique de Kinshasa est devenu le symbole d’une gestion urbaine en déshérence. Des centaines de vendeuses accroupies sur le bitume brûlant transforment l’espace public en souk géant. Poissons fumés posés à même les égouts à ciel ouvert, légumes recouverts de poussière noire, fruits grouillant de mouches… Les denrées s’entassent dans des conditions d’hygiène alarmantes. « Qui protège les consommateurs des maladies ? », s’interroge une mère de famille en évitant un amas d’ordures.
Derrière cette insalubrité criante se cache une tragédie sociale. La plupart des marchandes, comme Mama Léontine rencontrée sur place, n’ont pas d’alternative : « Le marché officiel coûte trop cher. Ici, au moins, je gagne 5 000 francs par jour pour nourrir mes quatre enfants. » Un dilemme cornélien entre survie économique et santé publique qui met en lumière les fractures sociales de la capitale congolaise.
Les conséquences de cette occupation illégale débordent largement le cadre sanitaire. Aux heures de pointe, les embouteillages monstres paralysent cet axe vital. Camions, bus et taxis-motos se disputent l’espace restant dans un concert de klaxons. « Parfois, je mets deux heures pour faire trois kilomètres », témoigne un chauffeur de taxi, montrant du doigt les caniveaux bouchés qui transforment la moindre pluie en déluge.
Les opérations de déguerpissement menées par les autorités ressemblent à des coups d’épée dans l’eau. Après chaque intervention policière, les étals réapparaissent comme des champignons. Le programme « Kinshasa ezo bonga » du gouverneur Daniel Bumba, pourtant axé sur l’assainissement, peine à endiguer le phénomène. La récente démolition des constructions anarchiques près de la Gare de Kintambo illustre cette politique du yo-yo qui ne résout rien en profondeur.
En toile de fond, c’est tout un système de précarité organisée qui se perpétue. Les taxes informelles prélevées par certains agents corrode toute velléité d’ordre public. « Les policiers viennent plus pour remplir leurs poches que pour appliquer la loi », dénonce un commerçant sous couvert d’anonymat. Une corruption qui entretient le cercle vicieux de l’occupation illicite.
Face à ce casse-tête urbain, des voix appellent à une approche plus holistique. « Créer des marchés low-cost avec un accès régulé, former les vendeuses aux normes d’hygiène, associer les quartiers à la gestion des espaces… Les solutions existent ! », plaide un urbaniste contacté par nos soins. Mais dans une ville où 70% de l’économie relève du secteur informel, la marge de manœuvre semble étroite.
Alors que Kinshasa rêve de retrouver son lustre d’antan, le rond-point Ngaba cristallise les défis d’une métropole en quête d’équilibre entre ordre public et justice sociale. Entre les klaxons stridents et les appels des marchandes, c’est toute la complexité congolaise qui vibre sur ce bout de macadam surchauffé.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
