Sous un ciel étoilé de Butembo, ce dimanche 11 mai, l’écran s’est illuminé comme un phare dans la nuit tourmentée du Nord-Kivu. Orphelin de Balolanda, fruit d’un projet audacieux porté par l’Abbé Jean Robert Kaghoma, a transformé la salle de projection en sanctuaire d’émotions. Les rires cristallins des enfants-acteurs se mêlaient aux soupirs étouffés du public, tandis que défilait une narration poignante sur les décombres de l’humanité.
À travers les plans serrés sur des visages juvéniles, le film dessine une cartographie intime des conflits. « La caméra devient leur arme pacifique », confie l’Abbé Kaghoma, dont la silhouette se découpe contre la lumière tamisée. Son discours, teinté d’une urgence tranquille, rappelle que « planter des graines de paix dans l’imaginaire des enfants, c’est cultiver des forêts de changement ».
Cyprien Ngungu, 14 ans, incarne cette génération qui refuse de se laisser voler son enfance. « Quand je dis mon texte, je parle pour tous ceux qu’on n’entend pas », murmure-t-il, les yeux brillants d’une détermination qui défie les statistiques macabres de la région. Son personnage – miroir des espoirs trahis – devient le porte-voix d’une revendication douce-amère : le droit de grandir sans compter les morts.
La force de ce projet réside dans son paradoxe fondateur : des enfants jouent la tragédie des adultes pour mieux leur apprendre à redevenir humains. Chaque scène, chorégraphiée entre innocence et gravité, interroge notre capacité collective à protéger l’enfance. Quelle meilleure manière de redéfinir l’avenir que par les yeux de ceux qui le construiront ?
Dans la salle comble, les réactions en cascade dessinent une mosaïque de prises de conscience. Une mère serre contre elle sa fille comme pour la prémunir contre les fantômes de l’écran. Un officiel esquisse un geste vers son téléphone, puis renonce, captif de l’histoire. Les adolescents, quant à eux, semblent sculpter mentalement leur propre rôle dans ce grand récit national en devenir.
Ce film-événement du cinéma Butembo ne se contente pas de dénoncer : il restaure. Par la magie du cadrage, les paysages meurtris du Nord-Kivu retrouvent une dignité photographique. Les ruelles de Balolanda, théâtre fictif des drames, deviennent le décor universel de toutes les résiliences.
Alors que les lumières se rallument, un silence parlant enveloppe l’assistance. Dans ce moment suspendu, on entend presque germer les idées. L’œuvre de l’Abbé Kaghoma et de ses protégés dépasse le cadre artistique : elle inscrit les droits des enfants Nord-Kivu au cœur du débat citoyen, transformant l’écran en tribune et les spectateurs en ambassadeurs involontaires de sa cause.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net