La réhabilitation de la Route Nationale n°1 (RN1), artère vitale reliant Kamusha à Kananga dans le Kasaï Central, se heurte à un paradoxe glaçant : les engins destinés à moderniser cette voie stratégique peinent à l’atteindre en raison de son état de délabrement avancé. Un cercle vicieux qui expose les failles structurelles du réseau routier congolais et menace les ambitions de désenclavement de la région.
Transportés depuis Kinshasa, les bulldozers et niveleuses de la Société d’infrastructures sino-congolaise (CISC) subissent un calvaire logistique. Le trajet normalement effectué en 72 heures s’étire désormais sur 7 à 15 jours, selon les responsables techniques sur place. En cause : des bourbiers transformés en pièges à engins, des tronçons éventrés par l’érosion, et surtout un pont datant de 1945 qui résume à lui seul l’urgence des investissements dans les infrastructures RDC.
« Ce pont ne supporte plus que 3 tonnes alors que nos convois en pèsent 40 », explique un ingénieur sous couvert d’anonymat. Une bombe à retardement métallique qui force les ouvriers à improviser des traversées périlleuses de la rivière Lubi. Des pirogues traditionnelles guident tant bien que mal les machines, sous les yeux inquiets des villageois. « Chaque passage est une roulette russe », confie un chef local, soulignant les risques accrus en saison des pluies.
Les conséquences économiques de ces retards s’annoncent lourdes. La RN1 constitue le cordon ombilical pour l’acheminement de 60% des denrées alimentaires et matériaux de construction vers le Kasaï Central. Son enclavement actuel grève le prix du sac de ciment de 30% et allonge de deux semaines les livraisons de produits pharmaceutiques, selon les transporteurs locaux.
« Chaque jour de retard sur le chantier creuse le déficit commercial de la région », analyse Prosper Kabasele, économiste spécialiste des infrastructures. Il pointe un manque à gagner estimé à 500 000 USD mensuels pour les agriculteurs incapables d’exporter leurs récoltes. Une saignée ouverte sur l’économie régionale alors que le gouvernement table sur une croissance de 8% dans le secteur agricole.
Le report du chantier révèle surtout l’impérieuse nécessité d’une approche systémique. « On ne peut pas réparer une route sans sécuriser d’abord les axes d’accès au chantier », souligne un expert de la Banque Mondiale sous couvert d’anonymat. Un avis qui rejoint les revendications des populations locales réclamant en priorité la construction d’un pont moderne et le désensablement des voies de contournement.
En l’absence de solution rapide, c’est tout le projet de réhabilitation RN1 qui risque de s’enliser. Les retards accumulés pourraient entraîner des pénalités contractuelles pour la CISC, mais surtout prolonger de plusieurs années l’isolement du Kasaï Central. Une hypothèque insupportable pour une région dont le PIB provincial a chuté de 12% depuis 2020 selon les chiffres officiels.
La balle est désormais dans le camp des autorités congolaises. Le ministère des Infrastructures évoque « une réflexion en cours » pour débloquer des fonds d’urgence, mais les actes se font attendre. En jeu : la crédibilité du programme national de désenclavement et les espoirs de millions de citoyens pris en étau entre une route fantôme et un pont hors d’âge.
Article Ecrit par Amissi G
Source: Actualite.cd