Dans un contexte de tensions persistantes à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), la visite de Vital Kamerhe à Entebbe ce vendredi relance les spéculations sur les arrière-pensées diplomatiques de Kinshasa. Porteur d’un « message spécial » du président Félix Tshisekedi, le président de l’Assemblée nationale a été reçu par son homologue ougandais Yoweri Museveni. Officiellement, les échanges ont porté sur la sécurisation des zones frontalières, épine dorsale de l’opération Shujaa. Mais au-delà des déclarations protocolaires, cette rencontre interroge : pourquoi confier une mission stratégique à une figure politique aussi clivante que Kamerhe, dont les liens passés avec Kampala ont déjà alimenté les polémiques ?
Cette entrevue s’inscrit dans le sillage de la mission parlementaire congolaise entamée le 12 novembre à Kampala. Initialement présentée comme une routine diplomatique par Lambert Mende Omalanga, chef de la délégation, elle a finalement débouché sur une audience imprévue avec Museveni le 18 novembre. Un « changement d’agenda » qui n’est pas sans rappeler les volte-face habituelles de la diplomatie congolaise. Les députés ont néanmoins obtenu gain de cause avec la création d’un groupe bilatéral d’amitié parlementaire, chargé de superviser les projets d’intégration économique et de sécurité transfrontalière.
« L’Ouganda reste un partenaire incontournable pour stabiliser l’Est », a déclaré Mende à son retour à Kinshasa, évoquant les discussions sur les accords commerciaux et l’opération Shujaa. Pourtant, cette collaboration militaire conjointe, censée neutraliser les ADF, peine à convaincre sur le terrain. Les attaques répétées contre les civils dans le Nord-Kivu jettent une ombre sur l’efficacité réelle de ce dispositif. Le rapport déposé à l’Assemblée nationale congolaise saura-t-il pointer ces lacures sans froisser l’allié ougandais ?
Derrière les sourires échangés à State House, les non-dits s’accumulent. La présence de Kamerhe – habitué des missions d’apaisement régional – traduit-elle une volonté de Kinshasa de contourner ses propres institutions ? En confiant ce dossier sensible au numéro deux du Parlement, Tshisekedi semble vouloir ménager une alternative à la diplomatie traditionnelle. Une stratégie à double tranchant : si elle permet des négociations rapides, elle risque d’éroder la crédibilité du gouvernement congolais, déjà accusé d’opacité dans la gestion des alliances sécuritaires.
La question centrale reste l’équilibre précaire entre souveraineté nationale et coopération régionale. Alors que les députés ougandais promettent de « dynamiser les échanges commerciaux », les populations frontalières dénoncent toujours les exactions attribuées aux militaires de Kampala. L’accord bilatéral RDC-Ouganda parviendra-t-il à concilier realpolitik et protection des civils ? Les prochains mois seront décisifs pour le succès – ou l’échec retentissant – de ce partenariat sous haute tension.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd