Dans un mouvement visant à reprendre le contrôle des voies navigables congolaises, le Vice-Premier ministre chargé des Transports, Jean-Pierre Bemba, vient de lancer un coup de semonce administratif. La transmission d’une liste de 240 ports fluviaux et lacustres non homologués à fermer « immédiatement » au ministère de l’Intérieur marque un tournant dans la sécurisation des infrastructures portuaires. Une décision qui résonne comme un aveu : l’État a trop longtemps fermé les yeux sur l’économie parallèle des eaux congolaises.
Cette mesure, officialisée le 8 mai, s’inscrit dans le sillage des résolutions des 46e et 52e réunions du Conseil des ministres de 2020. Trois ans après leur adoption, leur mise en œuvre tardive interroge sur les priorités réelles d’un gouvernement confronté à la quadrature du cercle : réguler un secteur vital tout en évitant l’asphyxie économique des régions dépendant de ces axes maritimes informels.
Du Lualaba au Sud-Kivu en passant par Kinshasa, la géographie de ces fermetures dessine une carte des failles sécuritaires. « Ces ports fantômes sont des passoires pour la contrebande et des pièges mortels pour les usagers », assène un collaborateur de Bemba, sous couvert d’anonymat. Le ministère des Transports y voit une opportunité de « normaliser les flux commerciaux » tout en réduisant les risques d’accidents. Mais sur le terrain, certains acteurs dénoncent déjà un « matraquage réglementaire » qui risque de déplacer le problème plutôt que le résoudre.
La mort de 23 personnes dans le naufrage du « Merveille de Dieu » en octobre 2024, suivie des tragédies de la « JADOS » et de la rivière Kwa, hante encore les mémoires. Ces drames à répétition ont transformé la sécurité fluviale en enjeu politique brûlant. « Chaque épave devient un réquisitoire contre l’inaction étatique », analyse un expert maritime de Kinshasa. La fermeture des ports clandestins se présente dès lors comme une réponse obligée – mais est-elle suffisante ?
Derrière l’affichage d’autorité se profile un jeu d’échecs politique. Jean-Pierre Bemba, figure montante du pouvoir, use de ce dossier pour assoir son influence face à Peter Kazadi (Intérieur), dans une subtile redistribution des rôles au sein de l’exécutif. Les provinces concernées, elles, redoutent l’impact socio-économique de ces fermetures. « Sans alternatives viables, on risque de pousser les opérateurs vers une clandestinité encore plus profonde », met en garde un armateur de Mbandaka.
Reste la question centrale : cette opération coup de poing permettra-t-elle enfin à la RDC de tourner la page des naufrages meurtriers ? Si le gouvernement promet un renforcement des contrôles et des investissements dans les ports homologués, les observateurs appellent à la vigilance. Car dans l’hydre de la bureaucratie congolaise, toute mesure ambitieuse risque de se heurter à un adversaire redoutable : l’écart entre les décrets de Kinshasa et leur application sur le terrain.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd