Les inondations meurtrières de Nyamukubi en 2021, qui ont emporté vies et espoirs dans le territoire de Kalehe, ne constituaient pas qu’une tragédie ponctuelle. Deux ans après le drame, une étude choc révèle comment la dégradation environnementale alimente un cycle infernal de violence dans l’Est congolais. Le constat est implacable : chaque arbre abattu, chaque rivière détournée, chaque écosystème malmené ajoute une étincelle aux poudrières communautaires du Kivu.
Le Club Zaida Catalan pour la Paix et la Sécurité tire la sonnette d’alarme avec des données scientifiques accablantes. Leur recherche, soutenue par l’ambassade de Suède et réalisée par l’Institut international de recherches sur la paix de Stockholm, dévoile les liens organiques entre crises écologiques et conflits armés. « Le changement climatique n’est plus un sujet de salon, c’est un facteur de guerre », assène Judith Maroyi, porte-parole de l’organisation.
L’analyse pointe du doigt la spirale infernale enclenchée par la déforestation massive. Dans le Sud-Kivu, la disparition de 15% du couvert forestier en une décennie a transformé des bassins-versants en pièges mortels. Les pluies diluviennes, autrefois absorbées par les forêts, dévalent désormais les collines dénudées, emportant terres arables et infrastructures. Résultat ? Des communautés entières jetées sur les routes de l’exode, prêtes à en découdre pour le contrôle des rares ressources restantes.
Comment une catastrophe naturelle peut-elle alimenter des conflits armés ? L’étude suédoise démontre mécaniquement cette corrélation perverse. Les déplacés climatiques de Kalehe, chassés par les inondations, se sont heurtés à la méfiance des populations hôtes dans d’autres zones du Kivu. Une compétition féroce pour l’accès à l’eau et aux pâturages a ravivé des tensions ethniques latentes. Des groupes armés locaux en ont profité pour recruter et étendre leur influence.
« Nous assistons à une mutation inquiétante des dynamiques conflictuelles », analyse Judith Maroyi. Les combats pour le contrôle des minerais stratégiques s’aggravent désormais d’une bataille pour la survie écologique. Les milices instrumentalisent les désastres environnementaux pour justifier leur emprise territoriale, promettant une protection illusoire contre les colères de la nature.
Pourtant, cette urgence climatique reste le parent pauvre des stratégies de paix. Seulement 3% des budgets alloués à la stabilisation de l’Est congolais intègrent une composante environnementale. Une aberration dénoncée par les chercheurs : « Reboiser une vallée peut être plus efficace que déployer un bataillon », insiste la représentante du Club Zaida Catalan. Son plaidoyer appelle à une refonte totale des mécanismes de résolution des conflits, intégrant systématiquement la protection des écosystèmes.
La solution passera-t-elle par une justice climatique adaptée aux réalités congolaises ? Les experts proposent la création de « couloirs écologiques de paix » où la gestion collective des ressources naturelles servirait de socle à la réconciliation. Une approche innovante qui fait ses preuves dans certaines zones pilotes, réduisant de 40% les incidents violents liés à l’accès à l’eau.
Mais le temps presse. Les projections climatiques annoncent une intensification des phénomènes extrêmes dans le bassin du Congo. Sans action radicale, le Kivu risque de basculer dans l’ère des « guerres vertes », où kalachnikovs et tronçonneuses scelleront le destin de millions de civils. Un avenir que Judith Maroyi refuse de cautionner : « Notre dernière chance s’appelle adaptation climatique. La prochaine s’appellera capitulation. »
Article Ecrit par Miché Mikito
Source: radiookapi.net