La province du Nord-Kivu pleure 77 vies perdues en seulement quatre mois. Ces décès maternels et néonatals, survenus entre janvier et avril 2025, révèlent une crise sanitaire aux racines profondes. Comment une région riche en ressources humaines peut-elle laisser ses mères et nouveau-nés succomber à des complications évitables ? L’Ordre des sages-femmes pointe du doigt un système de santé asphyxié par le manque d’intrants médicaux et des formations lacunaires.
Blandine Bikuba, présidente de l’Ordre des sages-femmes, alerte sur « des conditions de travail indignes ». Dans les structures de santé, les professionnels manquent de matériel pour prendre en charge les hémorragies obstétricales – principale cause de mortalité maternelle. « Comment stopper une hémorragie sans compresses stériles ni médicaments hémostatiques ? », interroge-t-elle, décrivant des situations où « chaque minute devient un combat perdu d’avance ».
Derrière ces chiffres officiels se cache une réalité plus sombre. Les communautés éloignées, inaccessibles à cause des conflits armés, ne déclarent pas tous les décès. « Pour chaque cas enregistré, il y a probablement deux autres femmes et bébés morts dans l’ombre », estime Mme Bikuba. Ces zones de non-droit sanitaire transforment des complications obstétricales banales en sentences capitales.
Le tableau s’assombrit davantage avec la pénurie de personnel qualifié. Seulement 38% des accouchements bénéficient d’une assistance spécialisée dans certaines zones du Nord-Kivu. Les sages-femmes, lorsqu’elles sont présentes, doivent parfois choisir entre acheter des gants à leurs frais ou risquer des infections nosocomiales. Une analogie glaçante résume la situation : « C’est comme demander à un pilote de voler sans cockpit ».
L’urgence dépasse la simple fourniture de matériel. Les formations en soins obstétricaux d’urgence concernent à peine 15% des personnels selon les derniers rapports. Pourtant, une sage-femme correctement formée peut réduire de 40% les risques de décès maternel. La solution passe aussi par la motivation financière : 78% des agents de santé communautaires travaillent sans salaire régulier.
L’UNFPA et ses partenaires tentent de colmater les brèches. Leur intervention récente a permis la distribution de 500 kits d’accouchement stériles et la formation de 120 professionnels. Mais ces efforts restent insuffisants face à l’ampleur des besoins. « Chaque kit sauve 3 vies en moyenne, mais nous en aurions besoin de 3000 supplémentaires », précise un responsable sur place.
La voie vers des maternités sécurisées nécessite des changements structurels. Priorité numéro un : la création de « maisons d’attente » près des centres de santé pour les femmes en fin de grossesse. Autre piste : la généralisation des mutuelles de santé communautaires, testées avec succès dans le Sud-Kivu. Enfin, l’intégration des tradipraticiens dans les circuits de référencement pourrait sauver des vies dans les zones reculées.
Cette crise n’est pas une fatalité. Le Malawi a réduit sa mortalité maternelle de 60% en dix ans grâce à la généralisation des accouchements assistés. Pourquoi pas le Nord-Kivu ? La réponse tient en trois mots : équipement, formation, motivation. Des solutions connues, mais qui nécessitent un engagement politique soutenu et des financements pérennes. L’espoir demeure permis, à condition que les alertes des sages-femmes soient enfin entendues.
Article Ecrit par Amissi G
Source: radiookapi.net
