« Je ne laisserai plus ma famille prendre une baleinière. La dernière fois, on a frôlé la mort pendant trois heures sur le fleuve », témoigne Jean-Bosco Lokako, rescapé d’un naufrage survenu en mars 2025 près de Mbandaka. Ce père de quatre enfants résume le cauchemar quotidien des milliers de Congolais contraints d’emprunter ces pirogues géantes pour traverser les voies fluviales de l’Équateur. Une province où les cours d’eau servent d’artères vitales, mais se transforment trop souvent en pièges mortels.
Entre septembre 2023 et avril 2025, sept accidents majeurs ont emporté des centaines de vies selon le Cadre de concertation de la société civile locale. Derrière ces chiffres glaçants se cachent des dysfonctionnements systémiques : « Les services de l’État ferment les yeux contre des pots-de-vin. Des agents incompétents délivrent des permis à des embarcations non conformes », dénonce Fabien Mungunza, président de l’organisation. Un constat accablant qui pointe une réalité implacable : la mort navigue en toute impunité sur le fleuve Congo.
Comment en est-on arrivé à cette situation catastrophique ? La réponse fuse comme un cri d’alarme : corruption généralisée, tracasseries administratives et incurie des autorités fluviales. Les contrôles techniques ? Fantômes. Les normes de sécurité ? Bafouées. Les gilets de sauvetage ? Inexistants. « Les passeurs surchargent les baleinières en bois au mépris de toute logique. Un simple orage suffit à les faire chavirer », explique un pêcheur de Lokanga sous couvert d’anonymat.
Face à l’hécatombe, la société civile propose un plan de sauvetage ambitieux. Priorité numéro un : ressusciter le chantier naval de Boyera à Mbandaka. Ce site stratégique pourrait produire des baleinières métalliques plus sûres, mais dort depuis des années dans un linceul de rouille. Autres mesures chocs : la création d’une école de navigation et l’installation de points de vente agréés pour les équipements de sécurité. « Sans formation des capitaines et mécaniciens, on continuera à jouer à la roulette russe fluviale », prévient Mungunza.
Mais ces solutions butent contre un mur de inertie politique. Les recommandations restent lettre morte dans les tiroirs des administrations, pendant que les familles des victimes pleurent leurs disparus. Le drame des rivières congolaises dépasse la simple question technique : il révèle une faillite morale de l’État. Quand des fonctionnaires préfèrent empocher des bakchichs plutôt que de sauver des vies, toute la société en paie le prix.
La navigation fluviale dans l’Équateur cristallise ainsi les maux profonds de la RDC : gestion chaotique des ressources publiques, priorisation des intérêts privés sur le bien commun, abandon des régions périphériques. Ces accidents à répétition ne sont pas que des tragédies isolées – ils sonnent comme un avertissement sur l’urgence de réformer en profondeur la gouvernance nationale. Combien de vies faudra-t-il encore sacrifier avant que Kinshasa ne jette enfin une bouée de sauvetage à sa population ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd