Le réveil des habitants de Bandalungwa ressemble chaque matin à une course d’obstacles. Dès 2 heures, les camions de Mino Congo transforment la route Kisangani en un champ de bataille métallique. « Je dois partir deux heures plus tôt pour éviter d’être en retard au travail. Mais même comme ça, on reste coincés dans un nuage de poussière et de klaxons », témoigne Jean-Luc, un enseignant dont la voix tremble de frustration. Comme des centaines d’autres Kinois, il subit au quotidien l’occupation illégale des voies par cette entreprise dont les pratiques défient ouvertement le Code de la route.
À quelques mètres du Pont Tambwe, le spectacle est surréaliste : des poids lourds stationnés en double file, des chauffeurs indifférents aux injures, une chaussée réduite à un étroit couloir. La loi 78-023 ? Un vieux souvenir pour Mino Congo qui, selon les riverains, « fonctionne comme un État dans l’État ». Les conséquences sont multiples : retards professionnels, élèves absents aux examens, ambulances bloquées dans l’enfer des embouteillages…
Comment une entreprise peut-elle impunément paralyser un axe vital de Kinshasa ? La question hante les discussions au marché GB, où les commerçants égrènent leurs pertes. « Mes clients n’arrivent plus à circuler. Les fruits pourrissent, les clients disparaissent. Et pendant ce temps, personne ne sanctionne ces camions ! », s’insurge Mama Sophie, les mains posées sur ses caisses de mangues invendues.
Derrière cette anarchie routière se cache un enjeu plus profond : le rapport de force entre intérêts économiques et droits citoyens. Les autorités municipales, pourtant alertées à plusieurs reprises, semblent frappées d’une étrange paralysie. « Ils promettent des réunions de crise depuis trois mois », soupire un agent de la voirie sous couvert d’anonymat. « Mais sur le terrain, rien ne change. On dirait que Mino Congo a des appuis puissants. »
Les conséquences sanitaires ajoutent à l’urgence. Les émanations diesel des camions à l’arrêt créent un brouillard toxique au-dessus des habitations. « Mes enfants toussent toute la nuit », déplore une mère de famille devant le dispensaire de Kalamu. Les médecins du quartier commencent à alerter sur l’augmentation des cas d’asthme et d’irritations oculaires.
Face à ce désastre, la colère monte. Des collectifs citoyens envisagent des actions en justice pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Un avocat spécialisé en droit urbain rappelle pourtant que les outils légaux existent : « L’article 45 du Code de la route permet la mise en fourrière immédiate des véhicules en infraction. Pourquoi ne pas l’appliquer ? » La réponse semble se cacher dans l’opacité des relations entre pouvoir économique et administratif.
La solution passerait-elle par la création de zones industrielles périphériques ? Plusieurs urbanistes le pensent. « Kinshasa n’est plus adaptée au mélange habitat-industrie lourde », analyse le professeur Luboya de l’Université de Kinshasa. « Il faut repenser l’aménagement du territoire avant que la ville ne devienne ingouvernable. » Mais en attendant ces projets structurants, des milliers de Kinois continuent de vivre au rythme des caprices des camions de Mino Congo.
Cette crise révèle un mal plus profond : la difficile application des lois dans une mégapole en croissance chaotique. Entre pression démographique, enjeux économiques et faiblesse institutionnelle, Kinshasa semble au bord de l’étouffement. Les prochains mois diront si les autorités parviendront à reprendre en main le volant d’une ville où la loi du plus fort menace de devenir la seule règle.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Eventsrdc