Dans les profondeurs du Nord-Kivu, un mouvement inverse défie la logique de la survie. À Misinga, les pieds meurtris par des mois d’errance, des centaines de familles foulent à nouveau la terre de leurs ancêtres. « Pourquoi rester en brousse alors que la mort nous guette ici ? », interroge Moïse Mumbere, la voix nouée par l’émotion. Son témoignage, comme un cri étouffé par les feuillages de la forêt d’Ikobo, révèle l’impensable dilemme : fuir les balles pour affronter la faim.
Quatre mois. Quatre longs mois à survivre dans des tanières improvisées, à partager le territoire des serpents et des milices. Les récits des retournés dessinent une carte de la détresse : pas de savon pour laver les plaies, pas de sel pour donner goût à l’existence, pas de médicaments pour combattre le paludisme qui fauche les enfants. « Même les larmes ont un goût différent ici », murmure une mère en serrant contre elle son nourrisson fiévreux.
Le groupement d’Usala, contrôlé par les wazalendo, aurait pu offrir un refuge. Mais la promiscuité avec les groupes armés transforme chaque abri en piège potentiel. Alors ils ont choisi le retour, ce pari fou contre la fatalité. Un calcul macabre : « Mieux vaut mourir sous son toit que de pourrir en forêt ».
Pourtant, le village retrouvé n’est qu’un miroir brisé. Les écoles ? Portes closes depuis l’exode. Le dispensaire ? Pillé jusqu’à la dernière compresse. L’épicerie du coin ? Transformée en poste d’observation des rebelles de l’AFC/M23 toujours maîtres de Buleusa, à quelques kilomètres à peine. « Nous vivons comme des fantômes dans nos propres maisons », confie une enseignante en montrant les impacts de balles sur le mur de sa cuisine.
La situation rappelle cruellement le sort de Rusamambu, cette localité voisine devenue ville fantôme. Ici, le paradoxe congolais s’incarne : pendant que les uns reviennent, les autres fuient. Une valse macabre orchestrée par les kalachnikovs.
Comment expliquer cette résilience suicidaire ? Les organisations humanitaires pointent du doigt l’abandon des civils dans cette zone oubliée des convois d’aide. Les wazalendo, présentés comme protecteurs, peinent à garantir la sécurité face aux incursions répétées. L’État ? Une abstraction lointaine pour ces paysans qui n’ont connu que la loi des armes.
Les femmes, premières victimes de ce chaos, innovent dans la survie. Certaines ont transformé leurs champs en mini-forteresses, cultivant la nuit pour échapper aux pillards. D’autres organisent des réseaux de solidarité clandestins pour faire passer un sac de farine ou une boîte d’antibiotiques.
Mais jusqu’à quand ? La proximité des lignes de front – les rebelles à Buleusa, les miliciens à Rusamambu – transforme Misinga en poudrière. Chaque retour de cultivateur dans son champ devient une roulette russe. Chaque enfant qui part chercher de l’eau risque de croiser une patrouille ennemie.
Ce retour forcé pose une question essentielle : jusqu’où peut-on pousser l’instinct de survie ? En choisissant leur lieu de souffrance, les habitants de Misinga adressent un message glaçant au monde : ici, la guerre a définitivement effacé la frontière entre la vie et la mort.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd