Au cœur des ténèbres qui enveloppent le Parc national des Virunga, une lueur fragile perce la brume. Le samedi 3 mai dernier, des pisteurs communautaires ont découvert un nouveau-né gorille de montagne au sein de la famille Wilungula. Cette première naissance de l’année dans ce groupe emblématique porte à 37 le nombre d’individus, tandis que le parc enregistre sa troisième naissance pour 2025. Mais comment célébrer cette vie nouvelle quand les balles sifflent à quelques kilomètres des nids de feuilles ?
Les équipes de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) peinent à identifier la mère, symbole involontaire d’une résistance animale face à la folie humaine. Car le berceau de biodiversité tremble sous les assauts de 1 500 combattants armés : AFC/M23, ADF, Maï-Maï et FDLR se partagent un territoire où la conservation devient acte d’héroïsme quotidien.
« La station de Rumangabo ne fonctionne plus depuis plusieurs mois », lâche Emmanuel de Merode, directeur du parc, dans une déclaration qui résume l’ampleur du désastre. Les secteurs Sud et Centre, théâtres d’affrontements entre l’armée congolaise et les rebelles depuis 2022, asphyxient progressivement ce sanctuaire classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le paradoxe est cruel : alors que le parc fête son centenaire en 2025, ses gardes forestiers mènent une guerre silencieuse. Protéger les 350 gorilles de montagne survivants exige désormais autant de courage que de compétences biologiques. Chaque pas dans la forêt équatoriale devient une course contre la montre, chaque naissance animale une victoire volée aux milices.
Mais jusqu’où tiendra ce miracle écologique ? Les groupes armés contrôlent près de la moitié du parc, transformant les zones de nidification en champs de bataille. Les cris des nouveau-nés gorilles se mêlent au crépitement des armes automatiques, symphonie macabre qui questionne notre humanité.
Pourtant, dans cette tourmente, les chiffres parlent d’une résilience insoupçonnée. De 200 individus dans les années 1980 à 350 aujourd’hui, l’espèce a frôlé l’extinction avant de renaître. Preuve que même en RDC, où les conflits ont fait six millions de morts depuis 1996, la nature parvient parfois à écrire ses propres lendemains.
Cette naissance serait-elle un signe d’espoir ou un dernier sursaut avant l’effondrement ? Les experts refusent de trancher, mais soulignent l’urgence : le massif des Virunga abrite 30 % de la population mondiale de gorilles de montagne. Sa disparition déclencherait une catastrophe écologique régionale.
Alors que les combats continuent de grignoter le parc hectare après hectare, une question brûle les lèvres des conservationnistes : jusqu’à quand pourront-ils protéger ce bébé gorille dont la vie pèse désormais dans la balance géopolitique ? La réponse se niche peut-être dans cette course contre la montre où s’affrontent kalachnikovs et jumelles d’observation.
Cent ans après sa création, le Parc des Virunga livre son plus terrible combat. Chaque naissance de gorille devient un acte de résistance, chaque feuille préservée un défi aux forces de destruction. Dans ce théâtre de guerre où la nature est prise en otage, le nouveau-né de la famille Wilungula incarne malgré lui l’urgence absolue de protéger ce qui reste du deuxième poumon vert de la planète.
Article Ecrit par Miché Mikito
Source: Actualite.cd