Dans la province du Tanganyika, le cri silencieux de la faim résonne jusque dans les salles de classe. Thérèse Romana Joséphine, élève à l’école primaire Mulolwa, résume d’une voix tremblante : « Avant, je partais en cours le ventre vide. Maintenant, même si c’est juste du manioc, au moins je peux écouter le maître sans m’évanouir. » Un témoignage qui révèle l’urgence d’une crise alimentaire classant 45% de la population en situation de crise selon l’IPC. Derrière ce chiffre brutal, une réalité sociale complexe : 70 à 79% des ménages survivent avec une alimentation pauvre ou limitée, une précarité qui ronge l’avenir de toute une génération.
Comment étudier quand la faim tenaille les estomacs ? Comment rêver d’un avenir meilleur quand les conflits armés, les inondations et les routes impraticables isolent les villages ? Les conséquences sont visibles : absentéisme, décrochage scolaire, désintérêt des familles – surtout pour les filles. Dans ce contexte, une lueur d’espoir émerge des cuisines de fortune des écoles. « Les cantines scolaires ne sont pas qu’une soupe chaude », insiste Francis Béré, chef du PAM dans le Tanganyika. « C’est un rempart contre la fatalité. »
L’innovation réside dans l’ancrage local. Exit le blé importé, place au manioc et à la patate douce cultivés dans des jardins scolaires. Un modèle qui transforme les contraintes en opportunités : « Les champs communautaires font plus que nourrir », explique Kabila Kongolo Symphorien, directeur d’école à Tundwa. « Ils redonnent aux parents la fierté de contribuer à l’éducation de leurs enfants. » Résultat ? 6,3 tonnes de tubercules récoltées, 23 700 élèves nourris entre 2023 et 2025. Une réussite qui repose sur un cercle vertueux : les parents cultivent, les enfants mangent, les enseignants constatent une hausse de 40% de l’assiduité selon des données locales.
Ce succès cache pourtant un paradoxe congolais. Alors que la RDC dispose de 80 millions d’hectares de terres arables, pourquoi des enfants dépendent-ils de cantines scolaires pour survivre ? La réponse se niche dans l’enchevêtrement des défis : routes agricoles impraticables, conflits récurrents pour le contrôle des terres, impacts du dérèglement climatique sur les cycles de production. Autant d’obstacles que le programme du PAM contourne en misant sur l’hyperlocal.
La véritable révolution ? Un changement de paradigme. « Avant, on attendait l’aide internationale comme une manne », reconnaît une mère d’élève de Kalemie. « Maintenant, on sait que notre salut est dans nos mains et nos champs. » Cette prise de conscience dépasse la simple sécurité alimentaire. En impliquant les communautés dans la gestion des cantines, le projet crée des mécanismes de gouvernance locale – une compétence cruciale dans une province marquée par les tensions ethniques.
Reste la question de la pérennité. Si 46 écoles ont adopté le modèle en 2024, pourra-t-il résister aux aléas politiques et climatiques ? Les partenariats avec la Coopération française et belge apportent un soutien précieux, mais c’est dans l’appropriation communautaire que réside le véritable gage de durabilité. Comme le souligne un rapport récent de l’UNICEF : « Les solutions les plus résilientes naissent souvent des savoir-faire locaux réhabilités. »
Au-delà des assiettes garnies, ces cantines scolaires réécrivent le contrat social dans le Tanganyika. Elles deviennent des laboratoires où s’expérimente une nouvelle forme de résilience – alimentaire certes, mais aussi éducative et communautaire. Un modèle qui, en répondant à l’ODD 2 (Faim Zéro), active simultanément les leviers de l’éducation (ODD 4) et de la réduction des inégalités (ODD 10). La leçon est claire : parfois, pour changer l’avenir d’une région, il suffit de commencer par remplir les ventres de ses enfants.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd