Lors de la 32e édition de la Journée mondiale de la liberté de la presse, tenue le 5 mai 2025 au Fleuve Congo Hôtel de Kinshasa, une réflexion majeure a dominé les débats : comment concilier progrès technologique et protection des droits fondamentaux dans l’espace numérique ? Le Professeur Kodjo Ndukuma, éminent scientifique spécialiste du numérique, a présenté une analyse percutante sur les défis posés par l’intelligence artificielle (IA) et la désinformation algorithmique, tout en proposant des solutions innovantes pour la République Démocratique du Congo.
Dans un contexte où 87% des Congolais s’informent via les réseaux sociaux selon une récente étude, l’expert a décortiqué le mécanisme des algorithmes, qualifiés d’« intelligence artificielle faible ». Ces systèmes, conçus pour maximiser l’engagement des utilisateurs, favoriseraient la viralité des contenus sans distinction entre vérité et mensonge. « Une information très demandée s’impose dans les moteurs de recherche sans vérification préalable », a-t-il alerté, soulignant le danger d’une monétisation de la désinformation évaluée à 235 milliards de dollars annuels.
Une guerre des intelligences aux enjeux existentiels
Le Professeur Ndukuma a dressé un tableau alarmant de la « guerre des intelligences » opposant cognition humaine et machines. Avec des prédictions chocs : dès 2027, l’IA surpasserait les conducteurs humains, puis les rédacteurs en 2031, jusqu’à rendre obsolètes la plupart des métiers d’ici 2050. Face à cette projection, une question cruciale émerge : comment préparer la jeunesse congolaise à cette mutation sans précédent ?
La réponse du chercheur repose sur trois piliers stratégiques :
- La mise en place d’une gouvernance algorithmique étatique
- Le renforcement de la cybersurveillance citoyenne
- L’instauration d’une souveraineté informationnelle nationale
La RDC face au dilemme de la régulation numérique
Avec seulement 12% de pénétration internet en zone rurale selon les derniers chiffres officiels, la RDC se trouve à un carrefour décisif. Le professeur a insisté sur l’urgence de développer des infrastructures numériques nationales tout en préservant les données citoyennes. « Les géants du web contrôlent les tuyaux et l’audience. Sans régulation, nous risquons une colonisation numérique », a-t-il martelé, appelant à une législation adaptée aux réalités africaines.
La proposition phare ? Créer un observatoire national de l’intelligence artificielle doté de pouvoirs de certification des algorithmes utilisés sur le territoire. Cette initiative s’inscrirait dans le cadre plus large de la stratégie nationale de cybersécurité, actuellement en discussion au Parlement.
Désinformation et santé publique : un cocktail explosif
L’expert a particulièrement insisté sur les risques sanitaires liés aux fake news. Rappelant les campagnes de vaccination entravées par des rumeurs infondées durant la pandémie de COVID-19, il a plaidé pour un partenariat renforcé entre journalistes, scientifiques et plateformes sociales. « Chaque minute perdue à démentir une intox est une minute volée à la production d’informations vérifiées », a-t-il déploré.
La solution passerait par l’éducation aux médias dès le primaire et la création de « brigades numériques » composées de fact-checkeurs accrédités. Une approche qui rejoint les recommandations de l’UNESCO sur la protection des journalistes dans l’espace numérique.
Alors que la RDC s’apprête à lancer son premier satellite de communication en 2026, les enjeux de souveraineté numérique n’ont jamais été aussi cruciaux. Le plaidoyer du Professeur Ndukuma ouvre une voie médiane entre techno-optimisme béat et rejet réactionnaire du progrès. Reste à savoir si les décideurs politiques sauront transformer ces alertes en actions concrètes pour protéger à la fois la démocratie congolaise et l’avenir numérique de sa population.
Article Ecrit par Amissi G
Source: Eventsrdc