Le procès Bukanga-Lonzo, ouvert en avril 2025 devant la Cour constitutionnelle de la RDC, cristallise un bras de fer institutionnel majeur entre la justice et le Parlement, mettant en lumière des questions sensibles sur l’immunité parlementaire, la lutte contre la corruption et la séparation des pouvoirs dans un pays en quête de stabilité politique.
Contexte du dossier Bukanga-Lonzo
Le projet agro-industriel de Bukanga-Lonzo, lancé en 2014, devait révolutionner l’agriculture congolaise en exploitant 80 000 hectares pour produire notamment du maïs. Financé à hauteur de près de 100 millions de dollars par l’État congolais, il s’est effondré en 2017, victime d’un montage financier opaque, de surfacturations et de dysfonctionnements, selon plusieurs enquêtes. L’affaire a pris une tournure judiciaire lorsque l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo et d’autres responsables ont été accusés de détournement de fonds publics à hauteur de plus de 285 millions de dollars.
Le bras de fer judiciaire et parlementaire
Le procès a été marqué par l’absence répétée de Matata Ponyo et de ses coaccusés lors des audiences, justifiée officiellement par l’invocation de leurs immunités parlementaires. En effet, le 17 avril 2025, l’Assemblée nationale a officiellement demandé la suspension des poursuites contre ses membres sans levée préalable de cette protection constitutionnelle, estimant que la Cour constitutionnelle outrepasse ses prérogatives.
Cette posture institutionnelle pose une question cruciale : la justice peut-elle poursuivre un député sans que le Parlement ait levé son immunité ? Pour Matata Ponyo, candidat malheureux à la présidentielle de 2023, ce procès est un « procès politique » destiné à l’écarter du jeu politique. Son refus de comparaître s’appuie sur une lettre officielle de l’Assemblée nationale, qui réclame le respect des procédures légales avant toute poursuite.
Enjeux pour la séparation des pouvoirs
Ce conflit illustre une tension profonde entre deux piliers de la démocratie congolaise : la justice, qui cherche à appliquer la loi contre la corruption, et le Parlement, qui défend ses membres et ses prérogatives. La Cour constitutionnelle se retrouve dans un dilemme : poursuivre le procès par défaut au risque de heurter le Parlement, ou suspendre l’affaire en attendant une levée d’immunité qui pourrait ne jamais venir.
Cette situation soulève des questions sur l’indépendance de la justice et la capacité du pays à lutter efficacement contre la corruption, un fléau qui mine la confiance des citoyens dans leurs institutions. Certains observateurs craignent que ce bras de fer n’aboutisse à un précédent où les immunités parlementaires deviennent un bouclier contre toute responsabilité pénale, fragilisant ainsi l’État de droit.
Implications politiques et sociales
Au-delà de la sphère judiciaire, l’affaire Bukanga-Lonzo est révélatrice des luttes de pouvoir qui agitent la RDC. Matata Ponyo, figure influente de l’ancien régime, est perçu comme un rival potentiel du président Félix Tshisekedi. Son exclusion judiciaire pourrait modifier l’équilibre politique, en renforçant la main du pouvoir en place.
Par ailleurs, le dossier met en lumière la gestion problématique des fonds publics et la faiblesse des mécanismes de contrôle, alors même que la RDC fait face à d’importants défis économiques et sociaux. Le scandale Bukanga-Lonzo, qui a englouti l’équivalent de 10% du budget national annuel, alimente la défiance populaire et questionne la transparence des projets d’envergure financés par l’État.
Conclusion
Le procès Bukanga-Lonzo dépasse le simple cadre judiciaire : il est le reflet d’un État en construction, tiraillé entre la volonté de réformer et les résistances politiques. La manière dont cette affaire sera tranchée aura des répercussions majeures sur la crédibilité des institutions congolaises, la lutte contre la corruption et la consolidation de la démocratie.
L’enjeu est clair : garantir que ni la justice ni le Parlement ne deviennent des instruments de blocage ou d’impunité, mais que chacun joue son rôle dans le respect des règles et de la Constitution. La décision imminente de la Cour constitutionnelle sur la poursuite ou la suspension du procès sera un test décisif pour l’avenir politique et institutionnel de la RDC.