Les habitants de Kenge retiennent leur souffle à chaque passage sur la RN1. « Hier, un camion-citerne a failli basculer dans la boue. Le chauffeur criait, les pneus crevaient sous l’eau… On vit avec la peur au ventre », raconte Jean-Baptiste, habitant du quartier Kikwit. Sous ses pieds, des flaques d’eau polluée s’étendent à perte de vue autour du pont du kilomètre 273, transformant cet axe vital en couloir de dangers.
En cause ? L’effondrement d’un bassin de rétention jamais entretenu par l’Office des routes. Les eaux de pluie, désormais sans issue, rongent les fondations de la chaussée. « Regardez ces nids-de-poule ! Ils avalent les pneus des poids lourds comme du sable mouillé », s’indigne une commerçante en évitant un éclaboussure. Chaque jour, des véhicules restent embourbés pendant des heures, bloquant la circulation sur cet axe qui relie le Kwango au Kwilu.
Le maire Noël Kuketuka alerte depuis des mois : « L’érosion progresse de 2 mètres par semaine. Si rien n’est fait avant la prochaine saison des pluies, la RN1 deviendra un souvenir ». Ses mots résonnent comme un avertissement glaçant pour cette région où 80% des marchandises transitent par la route. Mais comment en est-on arrivé là ?
Les experts pointent un cocktail explosif : infrastructures coloniales jamais rénovées, budgets détournés, et négligence chronique dans l’entretien des ouvrages hydrauliques. « Le curage du bassin coûterait cent fois moins cher que la reconstruction totale qu’il faudra bientôt financer », déplore un ingénieur routier sous couvert d’anonymat.
En attendant, la population trinque. « Ma fille est tombée malade après être tombée dans cette eau stagnante », témoigne Mama Léontine, vendeuse de beignets au bord de la route. Les risques sanitaires s’ajoutent aux dangers routiers : dermatoses, paludisme et choléra guettent ceux qui osent traverser à pied.
La paralysie progressive de la RN1 fait aussi trembler l’économie locale. « Le prix du manioc a augmenté de 30% depuis que les camions mettent deux jours au lieu de six heures », calcule un gérant de dépôt. Pendant ce temps, certains conducteurs prennent des risques insensés : « Je double par la gauche en accélérant, sinon je reste coincé dans la boue », avoue un chauffeur de bus, les mains tremblantes sur son volant.
Jusqu’à quand les autorités fermeront-elles les yeux ? Alors que le maire réclame une intervention d’urgence, les premiers signes de colère grondent. « Si un enfant meurt noyé ici, ça va brûler », prévient un jeune motard, désignant les eaux troubles qui mangent peu à peu le bitume. Dans cette course contre la montre, Kenge incarne le drame silencieux des infrastructures abandonnées. Et si cette route coupée en deux devenait le symbole d’un pays qui s’enfonce ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd