Dans un contexte où les usagers de la route congolaise dénoncent depuis des années les abus systémiques, le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, a lancé un pavé dans la mare policière. Lors d’un atelier sur la réforme du code de la route tenu ce lundi 5 mai, le ministre a ordonné à l’Inspection générale de la Police nationale congolaise (PNC) une traque sans concession contre les agents « véreux et mafieux ». Une déclaration qui sonne comme un aveu officiel des dysfonctionnements chroniques d’une institution censée incarner l’ordre.
« Il est inadmissible que des agents censés garantir l’ordre public soient à l’origine du stress et des abus sur nos routes », a tonné Jacquemain Shabani, dénonçant pêle-mêle confiscations illégales de documents, vandalisme organisé sur les véhicules et brutalités en série. Le ministre a pointé du doigt des pratiques gangrénées par la « Tontine » (Likelemba) – ce système de collectes informelles – et autres détournements d’amendes qui transforment les barrages routiers en péages clandestins.
Mais derrière la virulence des mots se cache un paradoxe : cette purge annoncée ne risque-t-elle pas de se heurter à l’omerta d’un système où la corruption est parfois le ciment hiérarchique ? Le commandant Patience Mushid Yav, responsable de l’Inspection générale, a reconnu que la circulation à Kinshasa relève du « calvaire », tout en évoquant pudiquement un simple besoin de « recyclage » des agents. Un euphémisme qui interroge sur la profondeur réelle des réformes envisagées.
L’atelier de quatre jours, soutenu par la Société Intellgency Global Consulting, réunit policiers, chauffeurs et motards dans un dialogue inédit. Si l’initiative vise à « redorer l’image de la police », elle bute sur un défi de taille : comment restaurer la confiance quand les associations de conducteurs dénoncent eux-mêmes la collusion entre certains de leurs membres et des agents corrompus ? Le ministre a d’ailleurs fustigé ces « chauffeurs qui excellent dans l’irrespect du code de la route », soulignant ainsi la dualité du problème.
La directive ministérielle pose une question cruciale : cette chasse aux « pommes pourries » sera-t-elle un coup d’épée dans l’eau ou le prélude à une restructuration en profondeur ? Les observateurs notent que Shabani, en exigeant publiquement des résultats de l’Inspection générale, place habilement la responsabilité sur ses subordonnés. Une stratégie qui pourrait soit crédibiliser sa lutte anti-corruption… soit servir de paravent en cas d’échec.
Reste que le calendrier des réformes interpelle : cet assainissement annoncé coïncide étrangement avec la montée en puissance des critiques sur la gestion sécuritaire du gouvernement. La PCR (Police de Circulation Routière), souvent perçue comme le symbole des abus, devient ainsi un champ de bataille politique. Le ministre joue-t-il sa crédibilité sur ce dossier ou tente-t-il simplement d’éteindre un incendie médiatique ?
Alors que Kinshasa étouffe sous les embouteillages et les contrôles arbitraires, la population observe ces déclarations avec un scepticisme teinté d’espoir. Les prochains jours diront si cette « traque aux mafieux en uniforme » se traduira par des arrestations retentissantes ou s’évaporera dans les méandres bureaucratiques. Un test crucial pour Shabani, dont l’ambition affichée de forger une police « exemplaire » pourrait bien déterminer l’avenir de son portefeuille ministériel.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
