Alors que la République Démocratique du Congo (RDC) fait face à des défis sanitaires récurrents, de la gestion des épidémies d’Ebola aux crises de paludisme, une initiative académique vient d’éclore à Kinshasa. Lundi 5 mai, l’Institut One Health pour l’Afrique (INOHA) a lancé un Master de Modélisation Appliquée en Santé Globale (MASG) lors d’une cérémonie scientifique à l’Institut National de Recherche Biomédicale (INRB). Mais en quoi cette formation pourrait-elle changer la donne dans un pays où les systèmes de santé restent fragiles ?
Conçu comme un « laboratoire d’idées pour la santé publique », selon les termes du Dr Jean-Jacques Muyembe, directeur général de l’INOHA, ce programme vise à former une nouvelle génération d’experts capables de conjuguer mathématiques, épidémiologie et intelligence artificielle. L’objectif ? Anticiper les crises sanitaires plutôt que de les subir. « Nos étudiants devront maîtriser les outils de prédiction des risques épidémiques et proposer des réponses adaptées au contexte congolais », a-t-il insisté devant un amphithéâtre comble.
Ce master s’inscrit dans une logique « One Health » – une approche intégrée liant santé humaine, animale et environnementale –, cruciale dans un pays où 60% des maladies infectieuses émergentes ont une origine zoonotique. Les premiers modules aborderont ainsi la modélisation des interactions entre déforestation, mouvements de populations et propagation de pathogènes. Une dimension terrain qui séduit déjà les inscrits. « Enfin une formation qui ne se limite pas aux théories ! Ici, on nous apprend à créer des modèles ajustés aux réalités de nos provinces », confie Ange, étudiante en santé publique.
Pourtant, l’ambition se heurte à des défis pratiques. Comment appliquer des technologies de pointe dans des zones parfois privées d’électricité ? Le Dr Muyembe tempère : « La modélisation n’est pas qu’une affaire de supercalculateurs. Avec des données locales précises et des algorithmes adaptés, même un smartphone peut devenir un outil de surveillance. » Une assertion illustrée par le succès des applications mobiles lors de la dernière épidémie d’Ebola dans l’Est du pays.
Le programme, soutenu par plusieurs universités européennes et africaines, mise sur un équilibre entre innovation et pragmatisme. Les étudiants travailleront sur des cas concrets : optimisation des chaînes d’approvisionnement en vaccins, prédiction des pics de choléra dans les bassins fluviaux, ou encore impact des conflits armés sur les systèmes de santé. Autant de problématiques où la RDC pourrait passer du statut de terrain d’étude à celui d’exportateur de solutions.
Dans son intervention, le Dr Muyembe a rappelé l’urgence de l’enjeu : « Avec le changement climatique et l’urbanisation galopante, les prochaines pandémies naîtront probablement ici, en Afrique centrale. Soit nous formons dès aujourd’hui des experts locaux, soit nous resterons dépendants des aides internationales. » Un plaidoyer qui résonne alors que seulement 12% des publications scientifiques sur les maladies tropicales proviennent de chercheurs africains.
Reste à savoir si cette initiative survivra aux écueils habituels : financements aléatoires, fuite des cerveaux, ou lenteurs administratives. Pour le Pr Léontine, coordinatrice pédagogique, la clé réside dans les partenariats public-privé : « Nous travaillons déjà avec des startups locales spécialisées en data science. L’idée est que nos diplômés trouvent immédiatement des débouchés dans les hôpitaux, les ONG ou les ministères. »
Alors que les premières promotions s’apprêtent à plonger dans l’univers complexe des modèles prédictifs, une question persiste : cette formation fera-t-elle émerger des « chasseurs d’épidémies » congolais, capables de devancer la prochaine crise ? La réponse pourrait bien déterminer l’avenir sanitaire de toute la région.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net