Dans l’effervescence créative qui caractérise Kinshasa, une vague d’émotions et de réflexions déferle sur le Centre culturel et artistique pour les pays de l’Afrique centrale. Les murs de N’djili, vibrants de promesses, accueillent jusqu’au 10 mai la 39ᵉ édition des Journées congolaises de théâtre pour et par l’enfance et la jeunesse (JOUCOTEJ). Un événement où la scène devient miroir des aspirations d’une génération, portée par la Compagnie Théâtre des Intrigants (CTI) et son spectacle phare, « Le Diplômé fatigué ». Entre les rires cristallins des adolescents et les silences chargés de sens, le festival se mue en laboratoire d’idées, interrogeant sans détour l’égalité entre les sexes, thème central de cette édition.
Sous les projecteurs, des élèves du Lycée Sainte-Thérèse Verzeri, des Complexes scolaires Maman Diakiese et Lisanga Bokeleale, ainsi que des jeunes de l’Orphelinat Carlino tissent des récits où fiction et réalité s’entremêlent. La salle de 800 places, telle une caisse de résonance géante, amplifie chaque mot, chaque geste. « Le théâtre n’est pas un divertissement, mais un acte politique », rappelle Valentin Mitendo, directeur artistique des Intrigants et architecte de cette édition. Dans un entretien exclusif pour congoquotidien.com, il souligne l’urgence de vulgariser les Objectifs de développement durable (ODD) par l’art : « Les enfants ne sont pas que l’avenir. Ils sont aussi des passeurs de vérités que les adultes refusent d’entendre. »
Comment représenter l’invisible – les discriminations genrées, les plafonds de verre socioculturels – sans tomber dans le didactisme ? Les jeunes acteurs répondent par des métaphores audacieuses. Dans « Le Diplômé fatigué », le personnage principal, alourdi par des diplômes inutiles et un chômage persistant, devient le symbole d’une jeunesse en quête de repères. Les filles, vêtues de costumes mixtes, brisent les codes traditionnels des rôles attribués, tandis que les garçons explorent la vulnérabilité, territoire souvent interdit. L’espace scénique se transforme en arène où s’affrontent préjugés et espoirs.
L’odeur de la craie et du bois verni se mêle aux éclats de voix. Les couleurs des costumes – indigo, ocre, blanc immaculé – dialoguent avec l’obscurité de la salle, créant une palette visuelle où chaque teinte raconte une lutte. Les percussions traditionnelles, entrecoupées de silences calculés, rythment des monologues qui questionnent : « Pourquoi une fille devrait-elle rêver plus petit qu’un garçon ? » Les répliques, tranchantes comme des lames, dénoncent les inégalités dans l’accès à l’éducation ou les charges domestiques imposées aux adolescentes.
Au-delà de la performance, le festival s’érige en école informelle. Des ateliers interactifs invitent le public à rejouer des scènes de la vie quotidienne, inversant les rôles genrés. Une mère devient chef de famille, un garçon pleure sans honte, une fille exige le dernier mot. Ces exercices, ludiques en apparence, fissurent les certitudes. « Chaque rire est une victoire contre l’indifférence », confie une participante de 14 ans, les yeux brillants de fierté.
Que restera-t-il de ces quatre jours d’utopie théâtrale ? Valentin Mitendo y voit une semence : « Les ODD ne sont pas des concepts abstraits. Ils prennent chair ici, dans le regard d’un enfant qui ose défier le silence. » Alors que les lumières baissent progressivement sur N’djili, une question persiste : et si le changement social commençait sur les planches ?
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: radiookapi.net