Quatre vies englouties en quelques minutes. Trois femmes et un homme ont été terrassés ce lundi 5 mai à Kasengezi, victimes d’un tueur invisible qui rôde dans les entrailles de la terre du Nord-Kivu. Leur crime ? Chercher du bois de chauffage pour survivre, comme des milliers d’autres Congolais pris au piège entre la pauvreté énergétique et les colères souterraines du volcan Nyiragongo.
Le gaz Mazuku – ce « mauvais vent » en swahili – a encore frappé dans l’indifférence générale. Une zone d’extraction de sable transformée en chambre mortuaire à ciel ouvert. Des corps retrouvés avec leurs cordes à bois, ultime symbole de cette course contre la mort où la survie quotidienne devient roulette russe écologique.
Comment en est-on arrivé là ? La réponse couve sous nos pieds. Le lac Kivu renferme dans ses profondeurs 300 km³ de gaz carbonique et 60 km³ de méthane, selon les données de l’Observatoire Volcanologique de Goma (OVG). Le Mazuku, produit par l’activité volcanique intense, s’accumule dans les dépressions topographiques comme un prédateur patient. Incolore. Inodore. Impitoyable.
« Depuis 2015, nous avons documenté 147 cas mortels dans la région », révèle un rapport interne de la Protection Civile consulté par Congo Quotidien. Pourtant, malgré les cartographies précises remises aux autorités en 2024, aucune signalisation ne marque ces zones de mort lente. Les panneaux d’avertissement restent lettre morte dans les tiroirs administratifs.
Le drame de Kasengezi n’est pas qu’une tragédie isolée. C’est le symptôme d’un système défaillant. 800 000 déplacés, selon le HCR, errent dans la région – chassés par les conflits armés, poussés vers les gueules ouvertes de la terre. Chaque jour, des centaines de personnes franchissent les limites du Parc des Virunga, devenu paradoxalement zone de survie et piège mortel.
« Les autorités savent ! », s’insurge un agent de terrain sous couvert d’anonymat. « En 2022, on a formé 150 relais communautaires sur les risques gazeux. Mais sans budget pour les panneaux, sans patrouilles de sensibilisation, c’est comme crier dans le cratère du Nyiragongo… »
Les conséquences débordent le cadre humanitaire. Chaque intrusion dans le parc aggrave la pression sur un écosystème déjà au bord du précipice. Les forêts du Virunga, poumon vert de l’Afrique centrale, perdent 1,5% de leur surface annuellement selon les dernières images satellitaires. Un cercle vicieux où l’insécurité énergétique nourrit la crise écologique.
Pendant ce temps, le méthane du lac Kivu – assez pour alimenter toute l’Afrique de l’Est en électricité pendant 20 ans – continue de mijoter sous les eaux. Ironie cruelle : ce gaz qui tue aujourd’hui pourrait demain devenir une ressource vitale… si la priorité était vraiment donnée au développement humain.
Combien de corps faudra-t-il encore aligner devant l’hôpital provincial du Nord-Kivu avant que des mesures concrètes ne soient prises ? La réponse, comme le gaz Mazuku, semble se perdre dans les vents mauvais de l’inaction.
Article Ecrit par Miché Mikito
Source: Actualite.cd