Pour la 98ème fois depuis mai 2021, le Sénat congolais a reconduit, dans un ballet législatif désormais ritualisé, l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Ce vote expédié en quinze minutes, vendredi 2 mai 2025, soulève autant de questions sur son efficacité sécuritaire que sur son instrumentalisation politique. Une prolongation de plus – la énième – adoptée par 73 voix sur 75 votants, sans opposition déclarée, comme si l’urgence justifiait l’absence de débat.
Le ministre de la Justice Constant Mutamba, porteur du texte, a martelé la nécessité de « préserver l’intégrité territoriale ». Pourtant, les trois articles du projet de loi ne disent rien des résultats tangibles après quatre ans de régime d’exception. Entre les lignes, une évidence s’impose : l’état de siège est devenu un outil de gestion politique bien plus qu’une réponse militaire. Le président du Sénat, Jean-Michel Sama Lukonde, a lui-même justifié l’absence de débat en invoquant des « données incomplètes » sur les pourparlers de Doha et Washington. Un prétexte ou une prudence stratégique ?
La motion adoptée en séance plénière – reportant le débat substantiel sur la crise de l’Est – ressemble à une pirouette procédurière. « Attendons les rapports d’audition des ministres », a plaidé Lukonde, alors que les audiences parlementaires traînent depuis des mois. Cette prorogation expresse, calquée sur le vote similaire de l’Assemblée nationale le même jour, interroge : jusqu’à quand le Parlement va-t-il valider les prolongations en série sans exiger de bilan ?
En filigrane, un autre enjeu se dessine : la validation expresse de huit nouveaux sénateurs, dont un suppléant nommé par décret présidentiel au « Front intellectuel contre la guerre d’agression ». Une structure émanant directement de la Présidence, selon nos sources. Le bureau du Sénat a accéléré l’examen de ces dossiers en octroyant seulement 24 heures à la commission PAJ. Une célérité qui contraste avec les lenteurs habituelles du législatif. Simple coïncidence calendaire ou verrouillage politique en amont des prochains scrutins ?
« L’état de siège n’est pas une fin en soi, mais un moyen », avait pourtant déclaré Félix Tshisekedi en 2021. Quatre ans plus tard, le moyen est devenu permanent. Les provinces concernées voient pourtant persister les massacres de civils et l’expansion des groupes armés. Que pèse donc ce régime d’exception face à la realpolitik des alliances régionales et aux défaillances structurelles de l’armée ?
Les prochains jours s’annoncent décisifs. Le rapport d’étape des ministres de la Défense et des Affaires étrangères, attendu fin mai, pourrait – en théorie – alimenter un débat parlementaire enfin substantiel. Mais entre les jeux d’influence internationaux et les calculs électoraux de 2026, gageons que l’état de siège aura encore de beaux jours devant lui. Comme un miroir des impasses congolaises : une urgence qui dure, une démocratie qui s’essouffle.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net