Le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, effectue ce samedi une visite à haut symbole diplomatique à Libreville. Objectif : assister à l’investiture de Brice Clotaire Oligui Nguema, déclaré vainqueur de l’élection présidentielle gabonaise du 12 avril avec un score sans appel de 94,85 %. Un déplacement qui s’inscrit dans une dynamique de rapprochement stratégique entre les deux pays, observée depuis la prise de pouvoir du général gabonais en septembre 2023.
Selon des sources diplomatiques concordantes, une équipe d’avance congolaise œuvre depuis trois jours dans la capitale gabonaise pour préparer ce rendez-vous protocolaire. Ce souci du détail témoigne de l’importance accordée par Kinshasa à ce dialogue interétatique émergent. Une relation bilatérale qui s’est précisée en octobre dernier, lorsque le président de la transition gabonaise avait choisi la RDC comme étape clé de sa tournée dans la zone CEEAC.
La présence de Tshisekedi interroge sur les nouveaux équilibres régionaux. Le Gabon, après son exclusion temporaire de l’Union africaine suite au coup d’État contre Ali Bongo, cherche-t-il à consolider des alliances avec des partenaires perçus comme moins intrusifs sur les questions de gouvernance ? À l’inverse, la RDC y voit-elle l’opportunité d’étendre son influence dans un espace d’Afrique centrale où les recompositions politiques s’accélèrent ?
Le parcours d’Oligui Nguema incarne ces mutations. Porté au pouvoir par un putsch militaire justifié par des irrégularités électorales, l’officier supérieur a progressivement verrouillé son autorité. Son « élection » avriliste, boycottée par une partie de l’opposition, ouvre une ère institutionnelle ambiguë : transition militaro-civile ou démocratie de façade ? Les observateurs notent que le taux de participation officiel (62,8 %) contraste avec les images de bureaux de vote clairsemés diffusées sur les réseaux sociaux.
Kinshasa, de son côté, semble privilégier le réalisme diplomatique. En normalisant ses relations avec le régime gabonais, la RDC pourrait sécuriser des coopérations économiques – notamment dans les secteurs minier et forestier – tout en affirmant son rôle de pivot stabilisateur. Une stratégie qui rappelle son positionnement dans les crises récentes en République centrafricaine ou au Tchad.
Reste que ce rapprochement interroge sur l’évolution des normes démocratiques en Afrique centrale. La CEEAC, souvent critiquée pour son inertie face aux crises, valide-t-elle implicitement les transitions controversées dès lors qu’elles promettent une restauration constitutionnelle ? Le double discours des capitales étrangères – entre condamnations de principe et accommodements pragmatiques – nourrit ce flou géopolitique.
À court terme, les enjeux concrets dominent. Les deux chefs d’État aborderont probablement la sécurisation des frontières communes, l’harmonisation des politiques énergétiques et la relance du projet de corridor ferroviaire Brazzaville-Libreville. Autant de dossiers où la complémentarité RDC-Gabon pourrait dépasser les clivages institutionnels.
Cette rencontre ouvre-t-elle pour autant un chapitre inédit dans les relations congolo-gabonaises ? L’histoire récente incite à la prudence. Les deux pays n’ont jamais été en conflit direct, mais leurs priorités régionales divergent souvent. Le Gabon, proche de la France et membre de l’OPEP, cultive traditionnellement des partenariats différents de ceux de la RDC, plus tournée vers l’Afrique australe et les puissances émergentes.
L’analyse des experts consultés par Congo Quotidien nuance cependant cette lecture. Pour le professeur Albert Mbeki, spécialiste des relations internationales à l’Université de Kinshasa, « nous assistons à une reconfiguration des solidarités sous-régionales. Les nouveaux régimes, qu’ils soient issus d’urnes ou de casernes, cherchent des alliances moins idéologiques que fonctionnelles face aux défis sécuritaires et climatiques ».
La suite dépendra largement de la capacité des deux dirigeants à transformer cette diplomatie protocolaire en projets structurants. Le prochain sommet de la CEEAC, prévu en juillet à Ndjamena, offrira un premier test concret. En attendant, le serment présidentiel de Libreville sonne comme un appel à repenser les logiques d’influence dans une Afrique centrale en quête de nouveaux équilibres.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd