Dans les rues de Matadi, le klaxon des véhicules est devenu l’hymne d’une ville asphyxiée. « Je passe deux heures chaque matin à contourner des camions garés n’importe comment. Mon salaire part en essence », témoigne Jean Kabasele, chauffeur de taxi-moto, les yeux rivés sur l’avenue La Pigalle transformée en labyrinthe de ferraille. Comme lui, des milliers de citoyens subissent au quotidien l’étau des embouteillages monstres qui étranglent la capitale du Kongo-Central.
Le cœur du problème bat au rythme des occupations anarchistes des voies publiques. Entre l’Hôpital et la RTNC, des étals de marchandises côtoient des carcasses de véhicules abandonnés. Sur l’avenue Sanatorium, le supermarché Régal disparaît derrière un mur de camions en stationnement sauvage. Ces pratiques, tolérées pendant des années, ont fini par paralyser la circulation dans une ville où le réseau routier ressemble à des artères obstruées.
Face à cette hémorragie urbaine, le maire Dominique Nkodia Mbete sort le bistouri. Son ultimatum de cinq jours résonne comme un coup de semonce : « Assez de ces marchés et parkings pirates qui transforment nos avenues en dépotoirs à ciel ouvert ! ». La menace d’une évacuation forcée par le Génie militaire et le Bureau urbain de l’Urbanisme marque un tournant dans la gestion du dossier. Mais derrière cette fermeté affichée se cachent des questions non résolues : où reloger les commerçants ? Comment concilier survie économique et intérêt général ?
Les réactions des concernés trahissent un malaise social profond. « On sait qu’on gêne, mais l’État n’a jamais créé de marchés décents », lance Mama Nzinga, vendeuse de poisson depuis quinze ans sur l’avenue La Tortue. Son cri du cœur résume un dilemme vieux comme l’urbanisation congolaise : la rue comme espace de subsistance face à la rue comme bien commun.
Cette crise révèle une faille dans la planification urbaine. Les experts pointent du doigt l’absence chronique de politiques d’aménagement adaptées à la croissance démographique. « Matadi vit un paradoxe : ville-port stratégique mais incapable de fluidifier ses échanges internes », analyse le professeur Luc Tshibangu, urbaniste à l’Université de Kinshasa. Ses propos soulignent l’urgence d’une vision globale qui dépasse le simple coup de balai préconisé par les autorités.
L’opération annoncée soulève aussi des inquiétudes sécuritaires. Le recours au Génie militaire pour une mission civile interroge sur la militarisation de la gestion urbaine. Certains habitants craignent des dérapages, comme en 2019 lors de l’évacuation controversée du marché de la Liberté. « Va-t-on soigner la ville en cassant les moyens de survie des plus pauvres ? », s’interroge un leader associatif sous couvert d’anonymat.
Derrière les embouteillages de Matadi se joue une partie cruciale pour l’avenir des villes congolaises. Comment concilier ordre public et justice sociale ? Les cinq jours accordés par la mairie semblent bien courts pour résoudre un mal structurel. L’enjeu dépasse la simple circulation : c’est toute la gouvernance urbaine de la RDC qui est mise à l’épreuve. La réussite de cette opération dépendra de sa capacité à proposer des alternatives viables plutôt que de simplement déplacer le problème.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net