Dans les coulisses feutrées de Harare, une rencontre entre deux poids lourds de la politique africaine a redessiné les contours de la médiation dans l’Est congolais. Joseph Kabila, président congolais émérite, et Olusegun Obasanjo, ex-chef d’État nigérian et médiateur chevronné, ont orchestré un dialogue discret, loin des projecteurs mais à proximité des foyers de tension. Cette entrevue, intervenue le 2 mai 2025, soulève une question centrale : les anciens dirigeants peuvent-ils incarner l’avenir de la paix en RDC ?
Alors que les mécanismes officiels de résolution des conflits – de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs à la SADC – peinent à contenir l’escalade, le recours à des figures historiques relance le débat sur l’efficacité des canaux parallèles. Obasanjo, mandaté par l’Union Africaine parmi les « cinq sages » pour la crise congolaise, incarne cette diplomatie du prestige, où le carnet d’adresses prime parfois sur les protocoles. Kabila, quant à lui, joue un rôle d’équilibriste : retiré de la scène officielle depuis 2019, ses interventions calculées rappellent qu’il demeure un pivot dans l’échiquier politico-militaire congolais.
« Les solutions africaines doivent émerger des expériences africaines », a souvent répété Obasanjo, défenseur d’une realpolitik continentale. Une maxime qui résonne étrangement face à la réalité des groupes armés, dont certains, comme le M23, bénéficient de soutiens transfrontaliers. La stratégie des deux hommes consisterait-elle à court-circuiter les blocages institutionnels ? Ou à préparer un terrain de négociation alternatif, où Kabila servirait de pont avec des acteurs échappant au dialogue formel ?
Les observateurs notent un paradoxe : cette médiation « hors cadre » intervient alors que le président Félix Tshisekedi multiplie les appels à une intervention onusienne renforcée. Une divergence de méthodes qui n’est pas sans rappeler les tensions historiques entre Kinshasa et certaines capitales régionales. En misant sur son influence résiduelle au Sud-Kivu et au Katanga, Kabila prend-il le risque d’affaiblir la position unitaire du gouvernement ? Ou au contraire, son réseau pourrait-il désamorcer des alliances locales qui échappent à l’État central ?
Reste que l’initiative hararienne soulève des interrogations sur sa finalité réelle. Obasanjo, artisan des accords de paix en Éthiopie et au Mozambique, peut-il reproduire ce modèle en RDC, où la conflictualité puise ses racines dans la gouvernance locale et le partage des ressources ? Quant à Kabila, son engagement affiché pour la stabilité régionale contraste avec les accusations passées de complaisance envers certains groupes. Un virage stratégique ou un calcul pour repositionner son camp à l’approche des élections de 2027 ?
Cette séquence révèle surtout les limites des mécanismes de paix traditionnels. Alors que le rapport récent du Groupe d’experts de l’ONU pointe la persistance des soutiens étrangers aux rebelles, la médiation par les pairs – si elle contourne les écueils bureaucratiques – risque de légitimer des acteurs non étatiques. Un équilibre périlleux, où chaque avancée diplomatique pourrait nourrir de nouvelles revendications.
L’enjeu désormais est de savoir si cette diplomatie de l’ombre parviendra à infléchir les dynamiques de violence. Les prochaines semaines s’annoncent déterminantes : le sommet de la SADC prévu à Lusaka, les pourparlers directs entre Kinshasa et Kigali, et la possible formalisation des discussions de Harare dessineront l’impact réel de cette initiative. Une chose est sûre : dans le grand jeu congolais, les anciens maîtres du pouvoir n’ont pas dit leur dernier mot.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net
