Dans les rues de Mbuji-Mayi, l’odeur âcre du caoutchouc brûlé se mêle désormais aux espoirs déçus d’une ville en quête de modernité. « Ils ont asphalté cette route il y a à peine six mois. Aujourd’hui, regardez ces crevasses ! », s’indigne Jean Kabasele, commerçant au marché central, pointant du doigt les cicatrices noircies qui zèbrent la chaussée. Derrière ce constat amer se cache une réalité accablante : des jeunes en colère transforment les artères vitales de la ville en brasiers éphémères, sacrifiant l’intérêt général sur l’autel des luttes politiques.
L’Office de Voiries et Drainage (OVD) du Kasaï-Oriental tire la sonnette d’alarme : chaque pneu enflammé sur le bitume neuf équivaut à un coup de pioche dans les fonds publics. La chaleur extrême provoque une dilatation rapide du revêtement, créant des failles où l’eau s’infiltre sournoisement. Résultat ? Des nids-de-poule précoces qui réduisent à néant des investissements colossaux. « C’est comme jeter des billets de banque dans un feu de camp », compare un ingénieur routier sous couvert d’anonymat.
Cette crise révèle un paradoxe congolais saisissant. Alors que le gouvernement tente de combler le déficit infrastructurel historique – seulement 15% du réseau urbain est asphalté selon la Banque Mondiale –, certaines pratiques populaires sabotent ces efforts. Les manifestations du 28 avril, dirigées contre Deo Bizibu dans le cadre des tensions internes à l’UDPS, illustrent ce cercle vicieux. « Protester est un droit, mais détruire le bien commun n’est pas une lutte », tempête un responsable de l’OVD, visiblement épuisé par ce combat à double front.
Au-delà des considérations techniques, c’est tout le contrat social qui se fissure. Les riverains dénoncent une « double peine » : « On souffre des routes en terre, on souffre des routes cassées… Et entre les deux, ce sont nos enfants qui brûlent l’avenir », soupire Marie Tshibanda, mère de cinq enfants. Cette colère juvénile, canalisée par les rivalités partisanes, pose une question cruciale : comment transformer l’énergie protestataire en force constructive ?
Les experts urbains appellent à une révolution des mentalités. « Chaque kilomètre asphalté coûte 250 000 USD en moyenne », calcule le professeur Didier Kalamba, spécialiste en infrastructures. Un budget pharaonique pour une province où 65% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pendant ce temps, les élus locaux multiplient les appels au calme, mais peinent à proposer des alternatives crédibles aux manifestations destructrices.
Cette crise interroge la relation entre citoyens et État en RDC. Quand le bitume devient le champ de bataille des revendications politiques, qui paiera le prix de la reconstruction ? Les dernières images satellites montrent déjà des veines noircies sur le tissu urbain de Mbuji-Mayi – cicatrices d’une démocratie en mal de dialogue. À l’heure où le pays vise l’émergence, ces routes martyrisées rappellent cruellement que le développement ne se décrète pas : il se construit, pierre par pierre, avec ceux-là mêmes qui l’habitent.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net