À Goma, le 1er Mai a pris des allures de symbole cruel pour des centaines de fonctionnaires oubliés. Alors que le monde entier célébrait la dignité du travail, ces agents de l’État, coincés sous l’occupation de l’AFC/M23, ont vu cette journée souligner leur précarité. « Notre quotidien est devenu un véritable cauchemar », lâche Batundi Mwisha Pascal, ancien de la DGDA, dont la voix tremble de colère. Comme lui, des dizaines d’agents errent dans une ville fantôme où l’administration s’est effondrée sous les bottes des rebelles.
« Comment peut-on vivre dignement dans de telles conditions ? Nous avons des familles à nourrir, mais le gouvernement nous traite comme des fantômes », interroge-t-il, les mains vides depuis janvier.
Derrière chaque témoignage se cache un drame social qui dépasse l’individu. Nzigire Kadesi Fabiola, veuve et ancienne cadastre, ne parvient plus à scolariser ses enfants. Ntole Mushagalusa Célestin, urbaniste sans bureau, décrit une existence suspendue : « Cette journée n’a plus aucun sens ». À travers eux, c’est tout un système qui vacille. Comment l’État peut-il abandonner ceux-là mêmes qui incarnent son autorité sur le terrain ?
La circulaire du gouverneur militaire Somo Kakule Evariste, le 31 mars, a jeté de l’huile sur le feu. En décrétant la suspension des salaires pour les agents n’ayant pas fui vers Beni, il a institutionnalisé l’abandon. Une décision qualifiée d’« inacceptable » par le ministre de l’Intérieur, mais qui révèle un malaise plus profond : la gestion chaotique des zones occupées.
« Ce n’est pas la charité que nous demandons, mais la reconnaissance », insiste Chantal Asifiwe Mukenyezi du gouvernorat, rappelant que certains agents tentent encore de maintenir des services publics sous occupation.
Trois mois après les promesses de Kinshasa sur le paiement des salaires, le silence est assourdissant. Les fonctionnaires de Goma, pris en étau entre rebelles et inertie étatique, incarnent une crise aux multiples facettes : humanitaire, sécuritaire, mais surtout politique. Leur calvaire pose une question brûlante : jusqu’où peut s’étirer le contrat social quand l’État cesse de remplir ses obligations envers ses propres serviteurs ?
Cette situation crée un précédent dangereux. Si les agents publics ne sont plus protégés en période de crise, qui osera encore représenter l’autorité de l’État dans l’Est instable ? Le risque est double : une perte de crédibilité pour Kinshasa, et une vulnérabilité accrue face aux groupes armés qui prospèrent sur les failles institutionnelles.
En cette Journée du travail, les appels désespérés de Goma résonnent comme un test pour la cohésion nationale. Derrière les statistiques sur les zones occupées, il y a des vies brisées, des droits bafoués, une dignité piétinée. Jusqu’à quand le gouvernement central pourra-t-il ignorer ceux qui, hier encore, faisaient fonctionner son administration ? L’heure n’est plus aux promesses, mais à l’action concrète. Car chaque jour sans réponse creuse un peu plus le fossé entre le peuple et ceux censés le protéger.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd