Assis sur les débris de ce qui fut leur maison, les habitants des avenues Tokende, Marie-Antoinette et Makombo fixent l’abîme qui grignote leurs vies. « Hier, la terre a encore avalé ma cuisine. Il ne reste que mes casseroles tordues », murmure Mama Léontine, les mains tremblantes. Depuis 24 ans, cette érosion monstrueuse dévore impitoyablement le quartier Punda à Binza Delvaux, transformant les rues en paysages apocalyptiques. Les pluies diluviennes du 1er mai ont précipité le drame : maisons fissurées, commerces engloutis, familles jetées à la rue.
Le bourgmestre Dieu-Merci Mayibaziluanga se veut rassurant : « Les travaux commencent demain ! ». Mais comment croire cette promesse quand, depuis 2001, des milliards de francs congolais se sont volatilisés dans des chantiers fantômes ? « Aaron Sefu a déjà reçu des fonds. L’OVD a supervisé des projets. Où sont les résultats ? », interroge un notable local sous couvert d’anonymat. Un constat accablant : 24 ans de budgets engloutis sans aucune transparence.
L’amertume des riverains dépasse la colère. « On nous a promis 40 mètres de recul. Certains ont touché l’argent, d’autres rien. Maintenant, l’érosion prend nos lits ! », s’indigne un jeune père de famille. Le bourgmestre reconnaît l’héritage empoisonné : « Ce problème relève du gouvernement central. Nous avons saisi le président ». Mais pendant ce jeu de passation bureaucratique, des enfants dorment sous des bâches trouées.
Le spectre de la corruption plane sur ce désastre environnemental. Un appel à l’audit de l’IGF résonne dans les ruelles boueuses. « Les entreprises choisies sont-elles compétentes ? Les dédommagements ont-ils été équitables ? », questionne un ancien du quartier. Les documents déposés à l’Assemblée nationale dorment-ils dans quelque tiroir poussiéreux ?
Le plan en deux phases du bourgmestre – stabilisation puis canalisation – semble séduisant sur papier. Mais Kinshasa retient son souffle : les prochaines pluies pourraient emporter d’autres vies. « Ça craque sous nos pieds jour et nuit », décrit un commerçant de l’avenue Mbashi, montrant la route fracturée qui isole désormais son épicerie.
Cette crise soulève une question vitale : jusqu’où doit s’enfoncer Kinshasa avant que ses ravinements ne deviennent prioritaires nationales ? Les autorités municipales pointent le gouvernement central, qui renvoie la balle aux bailleurs internationaux. Pendant ce ping-pong politique, l’érosion creuse son sillon – 2 mètres par an selon les experts.
Les enjeux dépassent la simple catastrophe écologique. C’est tout un modèle de gouvernance qui s’effrite. Les promesses non tenues minent la confiance citoyenne. Les budgets détournés sapent les bases de l’État de droit. Et ces familles entassées dans des écoles-surpeuplées ? Elles incarnent l’urgence d’une réponse holistique combinant urbanisme, justice sociale et redevabilité politique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd