Dans les rues de Goma, où le bruit des obus se mêle aux cris des marchands ambulants, Jean-Baptiste, soldat des FARDC, se prépare pour une nouvelle journée de combat. « Je défends mon pays, mais qui défend ma famille ? », lance-t-il, le regard rivé sur l’horizon fumant du territoire de Rutshuru. Comme lui, des milliers de militaires congolais, souvent invisibles dans les discours sur le travail, sont placés sous les projecteurs ce 1er mai par le Ministère de l’emploi, travail et prévoyance sociale. Un hommage qui résonne comme un appel à l’unité nationale, alors que l’Est de la RDC continue de brûler sous les assauts des groupes armés.
Un hommage en zone de turbulence
Le thème national « Unis et solidaires pour la résilience en République démocratique du Congo » prend une résonance particulière cette année. Alors que les rebelles de l’AFC/M23 resserrent leur étau sur le Nord-Kivu, le gouvernement tisse un récit patriotique autour de ces « travailleurs en uniforme ». « Leur labeur, c’est notre sécurité », assène un communiqué du ministère, soulignant l’« impérieuse nécessité de défendre notre patrimoine commun ».
« Leur sacrifice doit réveiller notre conscience collective. Comment parler de développement quand des écoles brûlent et que des dispensaires sont pillés ? », interroge une enseignante de Bunia, sous couvert d’anonymat.
Les oubliés du 1er mai
Derrière les déclarations officielles se cache une réalité âpre. Dans les zones occupées, des cultivateurs continuent de moissonner sous la menace des kalachnikovs. « Je paie un impôt aux miliciens pour pouvoir cultiver mon propre champ », témoigne un agriculteur de Masisi, les mains crevassées par le houe. Le ministre de l’aménagement du territoire évoque ces « héros de l’ombre », mais sur le terrain, les projets de reconstruction peinent à voir le jour.
Éducation : le front silencieux
À Beni, une école sur trois fonctionne sans toit. Pourtant, les enseignants persistent. « Même sous les tentes, nous formons les bâtisseurs de demain », explique fièrement Monsieur Kambale, directeur d’école. Le ministère de l’éducation nationale salue leur « dévouement », mais les salaires restent irréguliers. Une contradiction qui questionne : peut-on façonner l’avenir d’une nation en laissant ses éducateurs dans la précarité ?
Les racines d’une lutte
Alors que le monde commémore les 138 ans de la lutte pour la journée de huit heures, la RDC réinterprète cette commémoration. Ici, le combat dépasse les revendications salariales : il s’agit de survivre. Les travailleurs des mines artisanales, les femmes porteuses de marchandises aux postes-frontières, les motards-taxi des villes en guerre… Tous incarnent une résilience à la congolaise, faite de débrouillardise et de courage.
« Notre meilleure usine, c’est la terre. Notre outil, c’est la détermination », résume une cultivatrice de Kalehe, les pieds dans la boue d’un champ de manioc.
Entre discours et réalité
Si les déclarations ministérielles sonnent juste, elles butent contre un mur de défis concrets. Comment appliquer le code du travail dans les territoires contrôlés par des milices ? Quel avenir pour les ouvriers du secteur formel, quand 90% de l’économie reste informelle ? Les questions s’accumulent, mais les pistes de solutions restent fragiles.
Ce 1er mai 2025 pourrait marquer un tournant. En associant soldats, enseignants et paysans dans un même élan patriotique, le gouvernement tente de souder une nation fracturée. Reste à savoir si cette rhétorique se traduira en actes. Car comme le murmurent dans les rangs des FARDC : « On ne nourrit pas sa famille avec des médailles ».
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd