Dans un contexte où les infrastructures routières de la République Démocratique du Congo cristallisent les frustrations populaires, le sénateur Jean Tshisekedi Kabasele incarne une paradoxale figure de proue. Ce dimanche 27 avril, l’élu du Kasaï Central a personnellement supervisé les travaux de cantonnage manuel sur l’axe Kananga – Muamba Mbuyi, initiative portée par sa fondation. Une démarche présentée comme citoyenne, mais qui interroge en creux les carences de l’État congolais en matière d’entretien routier.
« Garantir une route praticable relève d’un impératif social », a martelé le fils de l’illustre Étienne Tshisekedi, tout en saluant « l’effort héroïque » de ses équipes. Derrière ces déclarations se profile un plaidoyer en trompe-l’œil : si la fondation assume un rôle normalement dévolu aux pouvoirs publics, son action bute sur une réalité implacable. Les camions lourds, selon l’ingénieur Augustin Ntubadi, « réduisent à néant » ces travaux de fourmi consistant à terrasser, débroussailler et canaliser les eaux pluviales.
Un engagement à double tranchant
La scène a des allures de fable politique moderne : un parlementaire en tenue de terrain, maniant la pioche symbolique pour une route que l’État ne parvient pas à réhabiliter depuis des décennies. « Je suis l’homme le plus heureux », clame Jean Tshisekedi en évoquant les 30 kilomètres aménagés. Bonheur fragile : chaque convoi minier ou transporteur anéantit ces avancées locales, révélant l’absurdité d’une approche palliative face à l’urgence infrastructurelle nationale.
« Comment des initiatives citoyennes pourraient-elles pallier durablement la déliquescence des infrastructures d’envergure ? », s’interroge un observateur sous couvert d’anonymat. La question fuse comme un rappel à l’ordre : le cantonnage manuel ressemble à un pansement sur une plaie béante nécessitant une chirurgie routière lourde.
Le piège de l’action par procuration
En brandissant sa « promesse tenue » durant les vacances parlementaires, le sénateur joue un périlleux équilibre. D’un côté, il capitalise sur une image d’élu proactif, s’appropriant une compétence régalienne défaillante. De l’autre, il risque d’entériner par son action même la renonciation étatique à ses obligations. Un paradoxe que ses détracteurs ne manqueront pas d’exploiter : jusqu’où un élu doit-il suppléer l’administration déficiente sans devenir complice de son inaction ?
La stratégie comporte pourtant ses avantages immédiats. En médiatisant ces chantiers éphémères, Jean Tshisekedi se pose en recours face à « l’inertie de Kinshasa », selon l’expression d’un cadre de sa formation politique. Un positionnement risqué à l’approche des échéances électorales, où chaque initiative locale pourrait être interprétée comme un aveu d’échec des mécanismes institutionnels.
L’épineuse question du financement durable
L’ingénieur Ntubadi livre sans fard le nœud du problème : « Nos efforts sont annihilés par le passage des poids lourds ». Un constat qui pointe vers l’impérieuse nécessité d’un plan national de réhabilitation des routes secondaires, vitales pour l’enclavement des régions. Le plaidoyer promis par le sénateur auprès « des décideurs nationaux » constituera-t-il autre chose qu’un vœu pieux dans un pays où seul 20% du réseau routier est bitumé ?
La balle semble désormais dans le camp du gouvernement central. Acceptera-t-il de transformer l’essai d’une initiative locale en politique publique structurante ? Ou laissera-t-il ces efforts citoyens se consumer dans l’aridité des saisons sèches et l’indifférence bureaucratique ? L’enjeu dépasse la simple réparation de nids-de-poule : c’est la crédibilité même de l’État congolais à remplir ses missions régaliennes qui se joue sur ces pistes poussiéreuses du Kasaï Central.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd