La République Démocratique du Congo entre dans une phase cruciale de son équation socio-économique avec l’annonce de l’application effective du nouveau Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) à 14 500 francs congolais (FC) dès ce mois de mai. Une décision saluée comme une avancée syndicale majeure, mais qui soulève déjà des interrogations sur son applicabilité dans un tissu économique fragilisé.
Jean-Benoît Ntando, président de l’Organisation des Travailleurs Unis du Congo (OTUC), a martelé lors des célébrations du 1ᵉʳ mai que « les inspecteurs du travail seront déployés fin mai pour contrôler le respect de cette obligation légale ». Un avertissement direct aux employeurs récalcitrants, particulièrement visés dans les secteurs dominés par des investisseurs indopakistanais et libanais. Ces propos interviennent alors que 72% des travailleurs du secteur informel congolais survivent avec moins de 10 000 FC mensuels selon les dernières données du Bureau International du Travail.
Le décret gouvernemental, piloté par le Comité de suivi du SMIG sous l’égide du ministre du Travail, cristallise l’aboutissement de mois de négociations tendues. En février 2023, des grèves sectorielles dans les mines du Katanga et les plantations du Kivu avaient fait chuter de 15% la production nationale, selon la Chambre de Commerce. La fixation à 14 500 FC représente une augmentation de 45% par rapport au précédent plancher salarial, mais reste en-deçà des 20 000 FC réclamés par les centrales syndicales.
L’économiste Prosper Kanyanga souligne cependant un paradoxe : « Cette hausse absorbera 8% du budget des PME manufacturières, risquant un effet domino sur l’inflation. Le défi sera de maintenir l’équilibre entre justice sociale et compétitivité économique ». Une analyse corroborée par les prévisions de la Banque Centrale qui anticipe une pression inflationniste de 2 à 3 points d’ici décembre 2024.
La mise en œuvre du SMIG s’inscrit dans le cadre des réformes sociales exigées par le président Félix Tshisekedi, qui avait personnellement instruit le Conseil National du Travail de « prioriser les travailleurs les plus vulnérables ». Reste à savoir comment l’État compte soutenir les TPE familiales et les coopératives agricoles, souvent incapables d’absorber de tels coûts salariaux sans mécanismes d’accompagnement.
Si les travailleurs des grandes villes accueillent cette mesure comme une bouffée d’oxygène – le panier alimentaire de base étant estimé à 18 000 FC à Kinshasa –, des voix s’élèvent déjà pour dénoncer un « SMIG à deux vitesses ». Le syndicaliste Marcel Kibonge alerte : « Sans un renforcement des capacités de contrôle, 60% des employeurs du secteur informel contourneront la loi comme lors des précédentes augmentations ».
L’enjeu dépasse le simple pouvoir d’achat. Ce SMIG relance le débat sur la formalisation de l’économie congolaise, où seulement 12% des emplois sont régis par un contrat écrit. La réussite de cette politique salariale pourrait impulser une dynamique vertueuse : augmentation de la consommation interne, amélioration de la productivité, réduction du travail infantile. À l’inverse, son échec risquerait d’accentuer l’exode rural et la précarité urbaine.
Alors que le pays se profile comme futur géant minier mondial avec ses réserves de cobalt et de cuivre, cette réforme salariale constitue un test crucial. Saura-t-elle concilier attractivité des investissements et dignité des travailleurs ? La réponse commencera à se dessiner fin mai, au moment où les premiers inspecteurs frapperont aux portes des entreprises.
Article Ecrit par Amissi G
Source: radiookapi.net