Le bureau du Sénat de la République Démocratique du Congo a été saisi d’une requête inédite ce jeudi. L’Auditeur général des Forces Armées, le lieutenant-général Lucien-René Likulia Bakumi, a formellement sollicité la levée de l’immunité parlementaire et l’autorisation de poursuites contre Joseph Kabila Kabange, sénateur et ancien Président de la République. Cette démarche fait suite aux injonctions du ministre d’État de la Justice, Constant Mutamba, déterminé à traduire en justice l’ex-chef d’État pour « trahison, crimes de guerre et crimes contre l’humanité ».
Dans un communiqué officiel daté du 18 avril, le ministère de la Justice a détaillé les griefs à l’encontre de M. Kabila. Ce dernier est accusé d’avoir participé à « l’agression menée par le Rwanda via le mouvement terroriste AFC/M23 », selon les termes du document. Une accusation qui résonne comme un séisme dans l’arène politique congolaise, ravivant les plaies d’un conflit Est-africain aux ramifications complexes.
« Les poursuites ne visent pas Joseph Kabila en qualité d’ancien président, mais en tant que sénateur en exercice », a précisé Constant Mutamba lors d’une déclaration à la presse. Le ministre a martelé l’existence d’un « faisceau de preuves accablantes » liant l’intéressé aux massacres de populations civiles dans l’Est du pays. Des allégations qui, si elles étaient étayées, pourraient reconfigurer durablement le paysage judiciaire national.
La procédure engagée révèle une escalade sans précédent. Outre la demande de levée d’immunité, le parquet militaire réclame la saisie intégrale des biens mobiliers et immobiliers de l’ancien dirigeant. Une mesure d’autant plus symbolique qu’elle s’accompagne de restrictions de mouvement imposées à plusieurs de ses collaborateurs, suspectés de complicité dans cette « affaire de haute trahison ».
En parallèle, le ministère de l’Intérieur a porté un coup supplémentaire à l’appareil politique kabiliste. Les activités du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) ont été suspendues, officiellement en raison de son « attitude ambiguë » face à l’occupation rwandaise. Un communiqué gouvernemental pointe notamment le récent retour de Joseph Kabila à Goma, « ville sous contrôle ennemi », présenté comme une provocation insupportable.
Comment interpréter cette offensive judiciaire à haut risque ? Les observateurs s’interrogent sur le calendrier de ces accusations, formulées dans un contexte sécuritaire tendu. Le dossier transmis au Sénat mentionne des éléments précis : financement présumé de groupes armés, coordination opérationnelle avec des officiers rwandais, implication dans des exactions ciblant les déplacés du Nord-Kivu. Autant d’allégations qui devront être corroborées par des preuves tangibles devant les juridictions compétentes.
La balle est désormais dans le camp de la chambre haute du Parlement. Le règlement intérieur du Sénat prévoit un délai de quinze jours pour statuer sur les demandes de levée d’immunité. Si la majorité des sénateurs donne son feu vert, Joseph Kabila deviendrait le premier ex-président congolais à comparaître devant la justice militaire pour des crimes internationaux. Une perspective qui suscite déjà des tensions palpables dans les couloirs du pouvoir.
À Kinshasa, les réactions oscillent entre soutien ferme à la procédure et craintes d’instrumentalisation politique. « La justice doit suivre son cours sans considération de rang ou de statut », a plaidé un magistrat sous couvert d’anonymat. Reste à savoir si les juridictions congolaises parviendront à concilier indépendance judiciaire et sensibilité géopolitique dans ce dossier explosif.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd