À Kinshasa, la précarité des fonctionnaires de l’État atteint un seuil critique. Nicodème Mangusi, employé dans un service public, incarne cette réalité brutale. « Je consacre 10 000 FC par jour rien qu’aux transports. Avec 380 000 FC de salaire mensuel, comment nourrir ma famille et payer le loyer ? » lance-t-il, la voix nouée par l’épuisement. Son témoignage, livré lors de la Journée internationale du travail, résume le calvaire de milliers d’agents publics pris en étau entre des salaires de misère et des dépenses incontournables.
Derrière ces chiffres secs se cache une équation impossible : 70% du revenu englouti par les trajets quotidiens selon nos calculs. Les embouteillages kinois transforment chaque déplacement en parcours du combattant. « Mon taxi brousse met deux heures pour parcourir 8 km certains matins », confie une secrétaire croisée devant le ministère des Finances. Une situation qui pousse certains à dormir sur leur lieu de travail pendant la semaine.
Mais le malaise dépasse la simple question des transports. Un cadre administratif sexagénaire dénonce sous anonymat une bureaucratie à la dérive : « Nous travaillons avec des machines à écrire des années 80 ! Les dossiers s’empilent, les citoyens attendent des heures pour un simple cachet… ». Ces révélations dessinent le portrait d’une administration publique congolaise en état de mort technique, incapable de répondre aux besoins élémentaires de sa population.
Les syndicats tirent la sonnette d’alarme depuis des mois. « Comment voulez-vous que les services fonctionnent quand les agents pensent davantage à leur survie qu’à leur mission ? » interroge le secrétaire général de la Fédération des travailleurs publics. Les dernières négociations avec le gouvernement ont abouti à des promesses vagues d’amélioration des transports en commun d’ici 2025. Trop peu, trop tard pour des employés au bord de la rupture.
Cette crise multiforme pose une question fondamentale : jusqu’à quand l’État pourra-t-il ignorer l’effondrement silencieux de sa propre administration ? Entre la fuite des cerveaux vers le secteur privé et l’absentéisme chronique, les services publics risquent de sombrer dans une paralysie irréversible. La modernisation promise depuis des décennies tarde à se concrétiser, pendant que des milliers de Nicodème continuent de s’épuiser dans les transports surchargés de Kinshasa.
En filigrane de ce drame social, c’est toute la question de la gouvernance urbaine qui est posée. L’absence de transports en commun dignes de ce nom dans une mégapole de 17 millions d’habitants relève du scandale politique. Les travailleurs publics, censés incarner l’État au quotidien, deviennent malgré eux les symboles vivants de ses carences. Un paradoxe explosif à l’approche des échéances électorales.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net