Le conseiller pour l’Afrique de Donald Trump vient de conclure sa première tournée sur le continent, suscitant autant d’espoirs que d’interrogations sur la volonté américaine de s’impliquer réellement dans la résolution du conflit à l’Est de la RDC. Entre enjeux diplomatiques, intérêts économiques et considérations sécuritaires, cette visite marque-t-elle un tournant dans l’approche américaine vis-à-vis de la crise congolaise ou s’agit-il d’une simple opération de relations publiques ?
Un émissaire aux liens particuliers avec la Maison Blanche
Massad Boulos n’est pas un diplomate comme les autres. Cet homme d’affaires américain d’origine libanaise, âgé de 54 ans, entretient des liens familiaux directs avec le président américain Donald Trump, puisque son fils est marié à Tiffany Trump, fille du président. Nommé récemment conseiller principal pour l’Afrique, tout en conservant son rôle de conseiller pour les affaires arabes et le Moyen-Orient, Boulos incarne parfaitement la diplomatie non traditionnelle caractéristique de l’administration Trump.
Sa tournée africaine, débutée le 3 avril, l’a conduit successivement en RDC, au Rwanda, au Kenya et en Ouganda, accompagné de Corina Sanders, secrétaire d’État adjointe pour les affaires africaines, et de Dan Dunham, Directeur du Conseil National de Sécurité pour l’Afrique. Cette délégation de haut niveau témoigne d’une volonté américaine de marquer sa présence dans la région des Grands Lacs, théâtre d’un conflit persistant qui menace la stabilité régionale.
Une visite à Kinshasa sous le signe de l’urgence
Le choix de commencer sa tournée par Kinshasa n’est pas anodin. Comme l’a souligné un proche du président Tshisekedi, “Ça dénote un intérêt et/ou une urgence de la situation”. En effet, l’est de la RDC traverse une crise sécuritaire majeure depuis que le M23, groupe armé soutenu par le Rwanda selon de nombreux rapports internationaux, a repris les armes en 2021 et s’est emparé de vastes territoires, dont les villes stratégiques de Goma et Bukavu en janvier et février derniers.
Lors de sa rencontre avec le président congolais Félix Tshisekedi, Massad Boulos a insisté sur le souhait de Donald Trump de voir “la paix s’installer” et que “ce conflit prenne fin et rapidement”. Cependant, questionné sur les modalités concrètes pour atteindre cette paix, l’émissaire américain est resté évasif, se contentant d’apprécier “le dialogue en cours” sans préciser comment les États-Unis comptaient s’y impliquer.
Nuances dans les déclarations
En RDC, les déclarations de Boulos ont été plus directes sur la nécessité de mettre fin au conflit et de respecter l’intégrité territoriale du pays. Il a souligné l’importance d’un environnement sécuritaire pour permettre les investissements américains dans le secteur minier, crucial pour la prospérité des deux pays.
En revanche, au Rwanda, Massad Boulos a adopté une approche plus prudente. Il a évoqué des partenariats pour instaurer une paix durable dans la région des Grands Lacs sans se prononcer explicitement sur le rôle du Rwanda dans le conflit. Les discussions ont mis en avant les opportunités d’investissement pour les entreprises américaines au Rwanda, avec l’ambition de faire du pays un leader économique régional.
Cette différence de ton entre les deux pays pourrait être interprétée comme une réticence à exercer une pression directe sur le Rwanda, allié traditionnel des États-Unis dans la région. Les États-Unis semblent privilégier une approche diplomatique qui maintient l’équilibre régional tout en favorisant leurs intérêts économiques.
Au-delà de la paix : les intérêts économiques au cœur des discussions
Si la question sécuritaire était officiellement prioritaire, les aspects économiques n’étaient pas en reste. Massad Boulos a confirmé des discussions approfondies sur les minerais critiques, déclarant : “Vous avez entendu parler d’un accord sur les minéraux. Nous avons pris connaissance de la proposition de la RDC, et je suis heureux d’annoncer que le Président et moi avons convenu d’une voie à suivre pour son élaboration”.
Cette déclaration révèle l’un des véritables enjeux de cette tournée : l’accès aux ressources minières stratégiques dont regorge le sous-sol congolais. Les États-Unis, en compétition avec la Chine pour l’approvisionnement en cobalt, lithium, coltan et autres minerais essentiels aux nouvelles technologies, cherchent manifestement à renforcer leur position en RDC.
Des médiations qui se multiplient sans résultats concrets
La tournée de Massad Boulos s’inscrit dans un contexte diplomatique déjà saturé d’initiatives. L’Angola a longtemps tenté une médiation entre Kinshasa et Kigali, sans succès. Plus récemment, le Qatar a surpris en réunissant les présidents Tshisekedi et Kagame à Doha, évoquant un cessez-le-feu. Cependant, dès le lendemain de cette rencontre, le M23 s’emparait de Walikale, une zone riche en or et en étain, démontrant le décalage entre les discussions diplomatiques et les réalités du terrain.
La délégation du M23 s’est rendue à Doha la semaine dernière pour de possibles pourparlers avec Kinshasa, annoncés pour le 9 avril selon une source au sein du mouvement rebelle, bien que Kinshasa n’ait pas confirmé cette date. L’entrée en scène des États-Unis, avec la tournée de Boulos, ajoute une nouvelle couche à ce millefeuille diplomatique, sans qu’on puisse affirmer qu’elle apportera davantage de cohérence aux efforts internationaux.
Peut-on espérer une paix durable grâce à l’implication américaine?
La question centrale demeure : cette tournée de Massad Boulos peut-elle contribuer à une paix durable dans l’est de la RDC? Plusieurs éléments méritent analyse.
D’une part, l’implication directe de la Maison Blanche, à travers un conseiller proche du président Trump, confère un poids politique certain à cette initiative. Les États-Unis disposent de leviers économiques et diplomatiques considérables pour influencer les acteurs du conflit, notamment le Rwanda dont la dépendance à l’aide internationale reste importante malgré sa croissance économique.
D’autre part, l’approche américaine reste ambiguë sur plusieurs points cruciaux. Massad Boulos a botté en touche lorsqu’il a été interrogé sur les modalités pour obtenir le retrait du M23 et des troupes rwandaises, affirmant : “Nous ne sommes pas impliqués dans ces détails. Ce sont des questions internes sur lesquelles ils dialoguent. Ce n’est pas une question de pression (…) mais de paix”. Cette position pourrait être interprétée comme une réticence à exercer une pression directe sur Kigali, allié traditionnel de Washington dans la région.
Par ailleurs, la focalisation sur les opportunités d’investissement dans le secteur minier suscite des interrogations légitimes sur les priorités américaines. Une paix durable nécessite avant tout le respect de l’intégrité territoriale de la RDC et la fin de l’exploitation illégale des ressources qui finance les groupes armés – deux conditions qui pourraient entrer en conflit avec certains intérêts économiques à court terme.
Une stratégie américaine encore à définir
En définitive, la tournée de Massad Boulos marque une étape dans l’implication américaine dans la crise de l’est de la RDC, mais son impact réel dépendra de la stratégie que l’administration Trump décidera d’adopter dans les semaines et mois à venir.
Si les États-Unis choisissent d’exercer une pression significative sur tous les acteurs du conflit, y compris le Rwanda, et de conditionner leur coopération économique au respect de la souveraineté congolaise, cette tournée pourrait constituer un tournant positif. En revanche, si Washington privilégie ses intérêts économiques et géostratégiques au détriment d’une solution politique équilibrée, cette visite risque de rejoindre la longue liste des initiatives diplomatiques sans lendemain.
Pour nous, Congolais, l’enjeu est de taille : transformer l’intérêt américain pour nos ressources en un véritable levier pour la paix, sans tomber dans le piège d’une nouvelle forme de dépendance. La question reste entière : Massad Boulos sera-t-il l’architecte d’une paix durable ou simplement l’émissaire d’une Amérique avant tout préoccupée par ses intérêts stratégiques? Seuls les actes qui suivront cette tournée nous permettront de trancher.