L’hôtel Memling à Kinshasa vibre d’une énergie singulière ces 18 et 19 juin. Une cinquantaine de professionnels des médias, stylos et carnets en main, plongent dans un atelier salvateur contre un fléau moderne : la désinformation numérique qui fracture la société congolaise. Dans un pays où les rumeurs virales peuvent enflammer des communautés entières, cette formation orchestrée par le Secrétariat général à la Communication et aux Médias apparaît comme une bouée de sauvetage pour la cohésion nationale.
Cléophas Malaba, Secrétaire général à la Communication, plante le décor d’une voix grave : « Il faut que les journalistes sachent ce qu’ils vont dire et ce qu’ils doivent mettre à la portée de la population. Je crois qu’avec leur parole, on aura moins de conflits et moins de stigmatisation ». Sa déclaration résonne comme un électrochoc dans la salle. Combien de villages congolais ont basculé dans la violence à cause d’une fausse nouvelle partagée sur WhatsApp ? Combien de communautés se sont déchirées sur des préjugés amplifiés par les réseaux sociaux ?
Habibou Bangré des Affaires politiques de la MONUSCO, interpelle ces « chevaliers de la plume, du micro et de la caméra » avec une urgence palpable : « Face à la désinformation et à l’usage parfois nocif de l’intelligence artificielle, il devient crucial d’adopter des réflexes fondamentaux comme le recours systématique aux sources primaires ». Son avertissement met en lumière un paradoxe congolais : à l’ère où l’information circule plus vite que jamais, sa vérification devient un combat quotidien pour empêcher l’embrasement social.
L’atelier médias Kinshasa transforme la théorie en armes concrètes. Les participants décortiquent des cas pratiques de fake news ayant circulé en RDC, analysant leur mécanisme de contamination virale. Comment une rumeur sur les réseaux sociaux a-t-elle provoqué des violences intercommunautaires au Kasaï ? Pourquoi une vidéo truquée a-t-elle failli déclencher des émeutes à Lubumbashi ? Ces exercices révèlent une vérité crue : chaque clic irresponsable peut coûter des vies.
La formation journalistes RDC insiste sur un levier méconnu : la puissance des langues nationales. « Diffusez en lingala, en swahili, en tshiluba ! », exhorte un formateur. Ce n’est pas qu’une question d’accessibilité, mais de survie démocratique. Dans les territoires reculés du Congo, où les ondes radio restent reines, un message de paix en langue locale peut désamorcer des conflits naissants. Une stratégie vitale pour toucher ces zones où la rumeur tue plus vite que la balle.
La MONUSCO et l’UNESCO, piliers financiers de cette initiative, y voient un investissement dans la paix durable. Leur soutien technique matérialise une conviction : des médias responsables constituent la meilleure digue contre les vagues de haine. Mais au-delà des beaux discours, qu’en restera-t-il demain ? Les participants devront résister à la pression des deadlines infernales, à la tentation du clic facile, aux menaces parfois proférées contre ceux qui dénoncent les manipulations.
Cette lutte désinformation numérique dépasse largement le cadre professionnel. Elle engage l’avenir même d’une nation en quête de stabilité. Quand un journaliste de Bunia choisit de vérifier une rumeur ethnique avant publication, il sauve peut-être des familles. Quand une rédactrice de Goma résiste à la pression des faiseurs de fake news, elle préserve l’équilibre fragile de sa province. L’atelier du Memling aura-t-il suffisamment armé ces sentinelles de l’information pour contrer les tempêtes à venir ? La réponse s’écrira dans les prochains mois, à la une des journaux et dans le calme retrouvé des villages congolais.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
